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ressources, l’état ne cesse de leur faire sentir sa puissance. Tantôt il les arme de pouvoirs exceptionnels, faute desquels elles seraient-peut-être incapables d’achever leur tâche, tantôt il réprime leurs exigences et protège le public contre l’abus qu’elles feraient du monopole qui leur est conféré. Aux États-Unis, il n’existe rien de pareil. Comme en Angleterre, les sociétés financières font la dépense d’établissement, et s’en dédommagent par les taxes qu’elles prélèvent arbitrairement sur les voyageurs et sur les marchandises. On s’est dit dès le principe que l’industrie des chemins de fer n’est pas plus qu’une autre à l’abri de la concurrence, et que la concurrence est un moyen infaillible d’empêcher que les taxes ne soient plus élevées que de raison. On devine que l’événement n’a pas justifié cette prévision. Les chemins de fer américains ont donné le spectacle des variations de prix les plus monstrueuses. En 1869, le prix du transport entre New-York et Chicago monta de 5 dollars à 40 dollars par tonne. Parfois le tarif était de 2 dollars entre New-York et Chicago, et de 37 dollars pour le même parcours en sens contraire. Le plus souvent, deux compagnies rivales, par des rabais exagérés, se disputaient le trafic entre les points extrêmes qu’elles desservaient toutes deux, et elles se rattrapaient de ces transports faits à perte en surélevant au-delà de toute mesure les transports des localités intermédiaires, au point de ruiner les manufactures exposées à ces variations exorbitantes. Quelquefois les congrès se prémunirent contre les abus du monopole ; mais les prescriptions qu’ils édictèrent à cet effet furent aisément éludées. Il n’est pas rare de trouver dans les plus anciennes concessions un article qui prescrit d’abaisser les tarifs lorsque les profits de la compagnie concessionnaire dépassent un certain taux, précaution inutile dans une contrée où, faute de contrôle financier, le gouvernement ignore toujours à quel chiffre monte au juste le capital d’établissement. Ailleurs on s’avisa, mais un peu tard, d’interdire la fusion des compagnies rivales. Qu’arriva-t-il alors ? Elles se fusionnèrent sans qu’il y parût ; par exemple, elles convenaient de mettre en commun les recettes produites par les points extrêmes, chacune d’elles conservant le monopole du trafic intermédiaire. Qu’on ne s’étonne pas trop de voir des associations financières éluder les lois ; ce sont de grandes puissances dans un pays où, par la vertu du suffrage universel, la magistrature et le congrès appartiennent aux plus riches, aux plus audacieux.

La compagnie du chemin de fer central de la Pensylvanie offre un spécimen remarquable de la puissance que quelques particuliers peuvent acquérir ainsi par la seule vertu de combinaisons financières. En 1854, cette compagnie ne possédait que la ligne d’Harrisburg à