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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/666

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liberté de l’industrie. Comment réprimer les licences que tolère la législation actuelle ? Sera-ce en expropriant au profit de l’état les possesseurs des chemins de fer ? L’organisation politique des Américains, leur histoire, la notion même de l’état chez ces peuples qui ont pris pour règle absolue la plus libre expansion individuelle, tout s’oppose à une solution de ce genre. La Pensylvanie, l’Ohio, le Michigan, l’Illinois, ont d’ailleurs essayé de construire et d’exploiter eux-mêmes leurs voies ferrées, et n’ont abouti qu’à des catastrophes budgétaires. La question n’est plus de savoir si le gouvernement interviendra dans l’industrie des chemins de fer, on cherche seulement quelles seront la forme et les limites de cette intervention. Le vulgaire, qui ne raisonne pas tant, se laisse entraîner à une conclusion radicale ; il demande au gouvernement de s’établir juge suprême en matière de travaux publics. Il approuve le président de la république, qui dispose des ressources du trésor pour contrecarrer les spéculations des agioteurs ; il applaudit le gouverneur de l’état de New-York, qui proclame la loi martiale sur le territoire où les compagnies de l’Érié et de la Susquehannah sont en lutte ouverte. La protection toute-puissante du gouvernement, le césarisme en un mot lui paraît être le remède inévitable à de tels abus. Est-ce la vraie solution ? On en peut douter.

N’est-ce pas avec un sentiment de légitime fierté que nous pouvons, en terminant cette étude, reporter nos yeux sur le réseau de nos chemins de fer ? S’ils n’atteignent pas chez nous un aussi grand développement qu’aux États-Unis, on ne peut contester que les tracés sont bien faits et les travaux bien exécutés. Les marchandages honteux, qu’il est impossible d’éviter tout à fait dans les grandes opérations de finances, ont été contenus dans les plus étroites limites. Si l’exploitation n’est pas parfaite, elle est honnête et régulière. Les lois qui règlent les rapports réciproques du public et des compagnies protègent à peu près également les deux parties. C’est que nos chemins de fer sont une combinaison heureuse de l’initiative individuelle et du contrôle de l’état, et pourraient, sous ce rapport, servir de modèle à d’autres industries que la nature condamne au monopole. Il serait faux assurément de dire que tout y est pour le mieux ; toutefois, si l’on éprouvait jamais la tentation d’abandonner un système qui, jusqu’à présent, a donné d’assez bons résultats, il serait prudent de considérer au préalable ce que vaut aux États-Unis le régime d’une pleine et entière liberté.


H. BLERZY.