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que par la guerre avec la France ; il prouve de son mieux que le chancelier de Berlin, après s’être préparé depuis longtemps de son côté, a mis au dernier moment toute son habileté et la dextérité la plus audacieuse à nous laisser l’apparence de la provocation. Nous le voulons bien, et après ?

Si M. de Bismarck a joué notre diplomatie, c’était au gouvernement de l’empereur, il nous semble, de ne pas se laisser jouer. Commencer par être dupe pour finir par être battu, c’est un peu trop. Si la politique prussienne était intéressée à brusquer la situation par la guerre, si on le savait, comme on l’assure, c’était à ceux qui étaient chargés de nos affaires de voir que par cela même notre intérêt devait être de ne point nous prêter à ce jeu ; c’était à eux d’opposer le sang-froid à la ruse, de ne pas tomber dans ce piège grossier. Pourquoi dès lors se hâter de livrer à un public impressionnable et ardent cette déclaration du 6 juillet qui compromettait tout, qui plaçait désormais le gouvernement français dans l’alternative de paraître reculer, s’il se contentait d’une modeste satisfaction, ou de se jeter tête baissée dans une lutte préparée par une intrigue, appelée, dit-on, par nos adversaires ? Pourquoi ne point assurer immédiatement à notre cause l’appui de l’Europe, liée par une sorte de politique traditionnelle dans toutes ces questions de candidatures monarchiques ? Si enfin, comme le dit M. de Gramont et comme cela n’est que trop évident, la candidature du prince de Hohenzollern n’était qu’un prétexte, si la guerre était inévitable et devait sortir invinciblement de la situation créée en 1866, qui donc était le coupable de cette situation ?

Puisqu’on se sentait en face d’une éventualité redoutable qu’on avait créée de ses propres mains, la plus simple prévoyance faisait au moins un devoir d’être prêt à tout. L’était-on ? Là-dessus l’ancien ministre des affaires étrangères est vraiment naïf : ce n’était point son affaire. Il reproche presque à M. Thiers de n’avoir point dévoilé au gouvernement que la France n’était point prête. En cela même, il se trompe ; M. Thiers l’avait dit déjà dans une conférence particulière à plusieurs des ministres avant la déclaration de guerre, il ne pouvait pas le dire à haute voix au moment où déjà on marchait au combat. Hélas ! non, la France n’était pas prête militairement, on ne le sait que trop. Était-elle mieux préparée diplomatiquement ? Ici M. le duc de Gramont se retranche dans une grande réserve, il ne dit rien, il laisse tout croire, il permet de supposer qu’il y avait « des combinaisons imaginées, des traités offerts et négociés, des rapprochemens prévus, » et il assure que le secret de la diplomatie impériale est dans des papiers mis en sûreté deux jours avant le 4 septembre. Où sont-ils ces papiers ? Ils ont eu, à ce qu’il paraît, une odyssée assez singulière, ils ne sont plus perdus comme on le craignait, et on saura peut-être un jour le grand secret. Jusque-là le plus clair de cette étrange et triste histoire, c’est que, si on avait fait