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quelques pas dans la voie des combinaisons diplomatiques, on n’était pas allé bien loin, et qu’au lieu de nouer des alliances pour mieux préparer les victoires, on comptait avant tout sur des victoires pour attirer les alliances. On allait au hasard, croyant à sa propre force, se fiant encore à la vieille fortune de la France sans s’apercevoir que depuis longtemps on faisait tout ce qu’il fallait pour épuiser cette fortune par les inconséquences et les incohérences d’une politique qui a laissé le pays en face de l’invasion et du démembrement.

Voilà la situation cruelle où l’empire a précipité la France en quelques semaines, on pourrait dire en quelques heures, et ici s’ouvre cette seconde période de la guerre dont M. Jules Favre dévoile les péripéties diplomatiques dans le second volume de son ouvrage sur le gouvernement de la défense nationale, dont le général d’Aurolle, le général Martin des Pallières, le général Vinoy, racontent la partie militaire dans tous ces livres qui se succèdent sur la première armée de la Loire, sur Orléans, sur le siège de Paris. C’est un inventaire complet de nos fautes et de nos misères. On avait sans doute une excuse, on héritait d’une situation désastreuse, et on a fait ce qu’on a pu pour réparer ce qui était peut-être irréparable. Il n’est pas moins vrai qu’il n’y a point de quoi se vanter, et que dans cette seconde période de la guerre on retrouve encore les infatuations, les illusions de la première heure, le désordre dans l’action et dans le conseil, tout ce qui devait achever et aggraver nos défaites. Rien ne le prouve plus clairement que tous ces livres des chefs de nos armées de province.

Que serait il arrivé à un moment donné, lorsqu’on avait réussi à reprendre Orléans à la suite de ce combat heureux de Coulmiers qui mettait en fureur le prince Frédéric-Charles, que serait-il arrivé si on eût un peu plus écouté les généraux, si on leur avait laissé le soin de conduire leurs soldats, de diriger leurs opérations ? La vérité est qu’ils n’ont qu’une ombre de commandement. Ils veulent se concentrer, on étend démesurément leurs lignes d’opération. Ils sont d’avis qu’il faut attendre l’ennemi dans des positions de défense soigneusement fortifiées, on les jette dans une offensive périlleuse avec des corps disjoints, séparés par plusieurs marches. De Tours, on dirige une partie de l’armée lancée à l’extrémité de la ligne pendant que le reste est écrasé à l’autre extrémité. Tant qu’on croit encore au succès, on se vante de tout conduire, on se complaît dans sa stratégie. Dès que la défaite commence, en plein combat, on se hâte de rejeter le commandement universel sur le général d’Aurelle, et on lui dit gravement de se concentrer lorsque la ligne est déjà percée. Le jour où la vérité foudroyante et douloureuse éclate définitivement, et où il ne reste plus qu’à quitter Orléans au plus vite, oh ! alors, ce sont les généraux qui ont tout fait, qui ont tout perdu. M. Gambetta seul triomphe avec son lieutenant, M. de Freycinet ! Que pouvaient-ils cependant, ces chefs militaires, dans la situation où on les