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cision saisissante au moment des combats d’Orléans, c’est celle de cette délégation de Tours poussant en avant des armées à peine organisées, imposant aux chefs militaires des opérations dont ceux-ci lui signalent le danger, compromettant par sa présomption une campagne qui, mieux conçue, pouvait tout au moins tenir l’ennemi en échec, et accusant tout le monde, hormis elle-même, des désastres dont elle est la première cause. Voilà ce qu’il y a de plus clair jusqu’ici. Les généraux ont tenu à rétablir la vérité, ils étaient dans leur droit. Après cela, ces vaillans serviteurs du pays qui n’ont pas été heureux, mais qui n’ont ménagé ni leur sang ni leur peine, ont déjà beaucoup écrit. Les livres se multiplient d’une façon presque menaçante. Il faudrait peut-être s’en tenir là et ne pas prolonger démesurément ces polémiques militaires, qui finissent par se perdre dans des détails, qui ne servent qu’à entretenir les rivalités, les animosités. On a été vaincu ensemble, il faut accepter ensemble sa défaite et tâcher d’en profiter pour raffermir tout ce qui a été ébranlé, pour raviver toutes les notions obscurcies, comme le fait M. E. Caro dans le livre qu’il appelle avec une douloureuse justesse les Jours d’épreuve, et qui n’est que le recueil des brillantes et éloquentes études qu’il publiait ici même pendant notre captivité du premier siège de Paris. Oui, c’est là le grand but, ce serait l’idéal : parler peu, éviter les disputes inutiles, et remettre en honneur, par un travail commun, sérieux et pratique, tout ce qui peut refaire la France militaire, morale, politique, tout ce qui peut lui donner la sécurité intérieure dans un ordre libéral, tout ce qui peut aussi relever son influence et son ascendant au dehors.

Est-ce que malgré tout la France n’a pas encore sa place marquée dans le monde ? Nous le savons bien, c’est aujourd’hui une mode parmi les esprits futiles en Europe de se mettre du côté du succès, d’exercer contre nous des représailles d’assez mauvais goût, en traitant notre malheureux pays avec une légèreté dont on a trop souvent usé parmi nous à l’égard des autres. Toutes les hostilités et les préventions ont beau jeu évidemment. C’est désormais le grand, presque l’unique devoir de notre diplomatie de déconcerter par son attitude cette fronde de la malveillance. Nos diplomates n’ont pas pour le moment le souci des hautes combinaisons de la politique. Ce qu’il y a de mieux pour eux, c’est de s’agiter et de se prodiguer le moins possible ; en agissant peu en apparence, ils peuvent encore faire beaucoup par le tact, par l’habileté, par le sentiment mesuré et ferme de la dignité française. Ce n’est pas déjà si facile de pratiquer cette diplomatie de la réserve et de l’action morale qui se trouve un jour avoir beaucoup fait sans bruit, sans éclat, par la seule autorité d’une conduite bien inspirée. Aussi notre gouvernement doit-il se préoccuper avec soin de recomposer ou de compléter notre représentation extérieure, qui, à quelques exceptions près, n’est point encore évidemment ce qu’elle peut et ce qu’elle doit être dans la