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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/761

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convenable d’examiner le passé de la Prusse, et de se demander ensuite : l’Europe est-elle actuellement délivrée de la politique révolutionnaire et napoléonienne ? ou bien cette politique subsiste-t-elle et a-t-elle seulement changé de nom ? . On n’usurpe pas le manteau des prophètes quand on prévoit le jour où notre existence nationale pourra être menacée par la Prusse. Déjà la cognée est mise à la racine d’autres arbres, à celle des parties allemandes de l’Autriche comme de la Suisse. La haine de la Prusse contre l’Angleterre grandit tous les jours. Est-il impossible que nous devenions le prix de la lutte qui ne peut manquer d’éclater tôt ou tard entre les deux puissances ? L’unité allemande n’a-t-elle pas toujours été associée à l’idée d’une Prusse puissante sur les mers ? Et où la Prusse trouvera-t-elle la puissance maritime ailleurs que dans notre patrie et dans nos colonies ? »

Il y a trois mois, un publiciste, M. Giraud, a raconté ici même l’histoire des origines et de l’accroissement continu de la maison de Hohenzollern[1]. M. Pierson a dressé un réquisitoire historique tout semblable contre cette dynastie foncièrement et âprement annexioniste, qui se compose de grands princes et d’hommes très médiocres, tantôt incrédules jusqu’au cynisme, tantôt orthodoxes jusqu’à l’intolérance, les uns téméraires, les autres méticuleux, mais qui reste identique à elle-même dans ses visées constantes, et aspire depuis longtemps à devenir la maison la plus puissante en Europe. C’est une dynastie peut-être plus remarquable encore par la prudence qui l’empêcha souvent de céder aux tentations les plus séduisantes que par l’audace qui lui permit de profiter des occasions inespérées qui s’offraient à elle. On peut porter à son actif deux périodes d’audace, celle de Frédéric II et celle du roi Guillaume. Après de longues intermittences de timidité, presque d’effacement, elle se retrouve prête à happer la proie qu’elle n’a cessé d’épier. Elle a toujours poursuivi systématiquement la domination sur l’Allemagne, et par elle sur l’Europe. Une des plus infernales ironies de l’histoire, c’est que la Prusse en 1870 a soulevé le peuple allemand tout entier contre « l’ennemi héréditaire, » c’est-à-dire contre la France, et que, s’il est une nation à laquelle la Prusse doive de la reconnaissance pour ce qu’elle a fait aux momens les plus critiques de son histoire, à l’exception de la guerre napoléonienne de 1805, cette nation sans contredit c’est la France. M. Pierson ne manque pas de le relever chemin faisant. Après avoir mis plus d’une fois à profit l’alliance française pour s’arrondir en Allemagne, la Prusse s’est servie de la rancune allemande, savamment attisée, Contre la France, pour s’agrandir encore aux dépens de celle-ci.

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1872.