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principal et plus noble membre de l’église universelle, il expose le misérable état de l’église sous Boniface. Ses vices dépassaient toute créance ; il ne croyait pas à l’immortalité de l’âme, il disait qu’il aimerait mieux être chien que Français, il ne croyait pas à la présence réelle ; il professait que les actes les plus infâmes n’étaient pas des péchés. Quand il mourut, il y avait plus de trente ans qu’il ne s’était confessé. Il avança la mort de Célestin, approuva un livre d’Arnaud de Villeneuve, se fit ériger des statues d’argent et de marbre pour se faire adorer. Il avait un démon familier, un anneau de magie, qu’un jour il offrit au roi de Sicile, lequel se garda de l’accepter. Il soutenait que le pape ne commettait pas de simonie en vendant les bénéfices ; il prétendait que les Français étaient hérétiques et même n’étaient pas chrétiens, puisqu’ils ne croyaient pas être sujets du pape au temporel. Il était sodomite, homicide, il ne croyait pas au sacrement de pénitence, se faisait révéler les confessions, mangeait de la chair en tout temps, disait que le monde irait mieux s’il n’y avait point de cardinaux, méprisait les moines noirs. Son dessein de ruiner la France était notoire ; il n’accordait rien aux autres rois qu’à la condition qu’ils promissent de faire la guerre à la France, comme on le vit dans le cas des rois d’Angleterre, d’Allemagne, d’Espagne, et dans celui des Flamands. Délaissant l’œuvre de terre sainte, il tournait à son profit l’argent destiné aux croisades. Il disait : « Je ferai bientôt de tous les Français des martyrs ou des apostats. »

Dans une autre plaidoirie, nous lisons que Boniface se moquait de ceux qui se confessaient et les appelait des sots. Il soutenait que le monde est éternel, et il ne croyait pas à la résurrection. « Heureux, s’écriait-il, ceux qui vivent et se réjouissent en ce monde ; les gens qui en espèrent un autre sont plus fous que ceux qui espèrent voir revenir Arthur ; ils sont semblables au chien qui prend l’ombre pour le corps. » Il se moquait des prières pour les trépassés, et disait qu’elles ne servent qu’aux prêtres et aux moines. Il osait prétendre que Jésus-Christ n’est pas vrai Dieu, qu’il ne faut voir en lui qu’un être fantastique. Son opinion était que la luxure n’est pas un péché, et il agissait en conséquence. Il sacrifiait aux démons, ne croyait ni au paradis, ni au purgatoire, ni à l’enfer. « A-t-on vu quelqu’un qui en soit revenu ? » disait-il. Il mettait le vrai paradis en ce monde. Aussi a-t-il favorisé les hérétiques et en recevait-il des présens. Il a empêché l’inquisition de procéder virilement contre eux, surtout quand il s’agissait de gens de sa secte (épicuriens, averroïstes, matérialistes) ; il a persécuté les inquisiteurs et en a fait mourir en prison ; il a fait relâcher des hérétiques qui avaient avoué.