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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/780

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Un autre gros cahier en quatre-vingt-treize articles contenait à peu près les mêmes accusations, presque dans les mêmes termes. L’année du jubilé, il fit tuer plusieurs pèlerins en sa présence. Il a contraint des prêtres à lui révéler des confessions. Il avait ordonné à tous les pénitenciers que, si on leur disait où était Célestin, ils eussent à le lui faire connaître. Il voulait ruiner les moines, les appelait des hypocrites. Il fit mourir non-seulement Célestin, mais docteurs qui avaient écrit sur la question de savoir si Célestin avait pu abdiquer. Il fit périr des gens pour apprendre quelque chose de la mort de ce saint homme. A sa dernière heure, il ne demanda point les sacremens, et expira en blasphémant Dieu et la vierge Marie. — Nogaret était érudit ; à côté de ce bizarre ramassis de cancans, de malentendus, de mots compris de travers par des esprits bornés, de conséquences forcées tirées de loin par une voie subtile, on trouve de solides recherches d’histoire ecclésiastique pour savoir si Célestin a pu abdiquer, si un pape peut cesser d’être pape autrement que par la mort.

Nogaret, poursuivi comme par un cauchemar du terrible souvenir d’Anagni, revenait toujours à son apologie personnelle. L’exorde d’une supplique, présentée à Clément V, ressemble à quelque chapitre inédit du Roman du Renard.


« Père très saint,

« Il est écrit que la marque des bonnes âmes est de craindre la faute, même quand il n’y a pas de faute. Job, cet homme juste et timoré devant Dieu, au témoignage de la divine Écriture, dit de lui-même : « Je ne sais pas si je suis digne d’amour ou de haine, » et l’apôtre, si grand docteur de l’église de Dieu, quoiqu’il ait déclaré pouvoir licitement manger de la chair, et soutenu que toute nourriture accommodée à la nature humaine est pure, pourvu qu’elle soit prise avec actions de grâces, a cependant écrit, pour l’enseignement de tous, qu’il se priverait éternellement de chair, si son frère ou son prochain se scandalisait de lui à cause d’une telle manducation. « Comment en effet, ajoute-t-il, prendrais-je sur moi de tuer son âme ? » montrant avec évidence qu’on tue l’âme du frère qui, par ignorance, injustement ou par fausse opinion, se scandalise à notre propos, et qu’on est coupable de la mort de ce frère, si son âme meurt pour un scandale qu’on pouvait éviter. Souvent en effet, quoique notre conscience nous suffise au regard de Dieu, elle ne suffit pas au prochain qui, par opinion fausse ou par l’effet de la diffamation, se scandalise de nous, comme dit le grand docteur Augustin : « Celui-là est cruel qui néglige sa réputation. » Moi donc, Guillaume de Nogaret, chevalier de monseigneur le roi de France,