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frénétique, lequel sévissait contre lui-même ou contre les autres, celui qui réveille un léthargique, qui accuse un incorrigible, fait acte de charité. On est encore bien plus obligé à cela si le frénétique est votre maître, votre père, et si de sa frénésie peut provenir le danger de plusieurs. Boniface était au moins hérétique présumé ; or, d’après un canon de concile, l’accusé d’hérésie est déjà tenu pour condamné et suspens. Boniface en réalité était fou furieux, parricide ; il ne cherchait qu’à tuer ses enfans ; il a donc été d’un bon catholique de l’attacher malgré lui, et, par une juste violence, de l’empêcher de perpétrer son crime. Si cela n’avait pu se faire autrement, il eût été meilleur et plus salubre de le charger de chaînes, de le garder en griève prison et de le battre de verges que de le maintenir contrairement à toute pitié, pour perdre non-seulement lui, mais les autres, non-seulement les corps, mais les âmes. Moïse délivra un Israélite en tuant un Égyptien, et cela lui fut réputé à justice. Boniface voulait détruire les catholiques par des procès irréguliers et en refusant de se purger d’hérésie ; tout catholique devait donc s’opposer à lui pour son bien et le bien de tous. L’église gallicane est une division, comme l’église orientale, l’église occidentale, dans l’église universelle indivisible. Vouloir la détruire, c’est vouloir détruire un membre du corps dont Christ est la tête. En cas de nécessité, on fait des choses extraordinaires, on crée des exemples. Un laïque, dans certaines rencontres, peut licitement administrer le sacrement de baptême, même celui de pénitence. Nogaret, dans cet extrême danger de l’église, a été l’instrument de la Providence. Quand il s’agit de défendre l’église, la nécessité fait de tout catholique un ministre de Dieu. On dira que le pape Benoît a déclaré dans sa procédure les excès de Nogaret et de ses compagnons notoires et accomplis sous ses propres yeux. Le pape Benoît a vu ce qu’il a vu, mais il s’est trompé sur le caractère des faits ; on ne peut d’ailleurs qualifier un fait de notoire avant que les personnes en cause n’aient été appelées et entendues.

Selon ce même projet de bulle, le pape eût déclaré que les accusateurs de Boniface avaient agi par le zèle pur de la foi, que Nogaret et ceux qui l’assistèrent avaient fait une action juste. Boniface ayant été mû par haine de la France, toutes ses procédures et constitutions eussent été retranchées des archives de l’église. Le pape eût également annulé la procédure de Benoît contre Nogaret et ses complices ; cette procédure eût été tirée des registres. Enfin le pape, considérant les grandes affaires du temps, l’intérêt de la terre sainte, le procès des templiers, la réunion des Grecs, eût terminé en disant que le crime d’hérésie dont Boniface était accusé avait encore besoin d’être prouvé, qu’on ne voyait pas du moins qu’il