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eût fait secte. Boniface a occupé une place élevée dans l’église de Dieu ; ce serait un grand scandale qu’il fût trouvé hérétique. « Comme alors les ennemis de la foi catholique remueraient leur tête sur nous ! En conséquence, placés entre les conseils de ceux qui nous engagent à faire justice, quoi qu’il arrive, et de ceux qui nous suggèrent d’abandonner pour la paix de l’église la discipline de justice, nous sommes en grande angoisse, serrés et pressés, suant comme sous un poids énorme. Eh bien ! nous avons pris une voie moyenne et avec nos frères nous avons prié affectueusement et instamment à diverses reprises le roi de France qu’il voulût bien, pour l’honneur de l’église, s’écarter de la voie de la rigueur et ordonner aux accusateurs de remettre la suite de l’affaire au jugement de l’église. Le roi a condescendu gracieusement à nos prières, et ainsi, pour l’utilité publique et la paix de l’église, nous avons cru devoir supprimer la justice des accusations et du procès susdit, ainsi que la requête d’un concile général, déchargeant les accusateurs de toute nécessité de poursuivre l’affaire contre la mémoire dudit Boniface. »

Ce morceau, nous le répétons, n’est qu’une rédaction proposée par Nogaret ; lui-même probablement n’espérait pas qu’elle serait adoptée telle qu’il l’écrivit. Il était essentiel qu’on pût croire que la renonciation du roi avait été précédée d’une demande du pape. En réalité il n’y eut, ce semble, d’autre demande que celle qui fut adressée par le pape à Charles de Valois. Dans une lettre au pape, datée de Fontainebleau, février 1311, Philippe reprend le récit de l’affaire depuis le parlement tenu à Paris en mars 1303, et conclut en déclarant qu’il abandonne la question au jugement du pape et des cardinaux, pour être tranchée au futur concile ou autrement : « car Dieu nous garde, ajoute-t-il, de révoquer en doute ce que votre sainteté aura décidé sur une question de foi, principalement avec l’approbation du concile. »

Clément négociait en même temps avec les partisans de Boniface. Il obtint d’eux un désistement semblable à celui qu’il avait obtenu de Philippe. En conséquence de ces deux désistemens, le pape donna une bulle Rex gloriœ virtutum datée d’Avignon, 27 avril 1311. La rédaction n’en différait pas essentiellement de celle qu’avait proposée Nogaret ; à part quelques atténuations que l’on sent avoir été discutées pied à pied avec les parties intéressées, ce sont les mêmes mots, les mêmes images, et l’on peut dire sans exagération que le second et le plus extraordinaire attentat de Nogaret sur la papauté fut de l’avoir induite à s’approprier son propre style et ses phrases. Après avoir loué la France et ses rois pour leur piété et leur zèle à défendre l’église catholique, Clément dit que Philippe,