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assez clairement dans l’ensemble. En somme, il est aisé de voir de quel côté sont ses préférences.

M. Mommsen est pour l’autorité. Il la veut forte, il l’aime vigoureuse. Tout ce qui la limite ou la gêne lui déplaît. Ce qu’il admire le plus sincèrement chez les vieux Romains, c’est cette habitude de discipline et de subordination qu’on prenait dans la famille, qui faisait la force des armées et qui se conservait dans la vie publique. Un des passages les plus curieux de son premier volume est celui où il étudie la constitution primitive de Rome. Il l’analyse avec beaucoup de sagacité et la définit très finement : une monarchie constitutionnelle en sens inverse. Contrairement à ce qui arrive en Angleterre, là, c’est le peuple qui règne et ne gouverne pas ; il est le souverain nominal, mais son autorité ne s’exerce que dans les grandes occasions. En réalité, la direction politique appartient toute au roi, qui consent quelquefois à la partager avec son conseil de vieillards. Quant à l’assemblée populaire, elle n’est convoquée que dans certains cas et pour sanctionner les mesures déjà prises par le roi. Cette constitution, qui laisse au peuple les dehors de la souveraineté et lui en ôte l’essentiel, plaît beaucoup à M. Mommsen, qui fait observer qu’avec quelques modifications elle a duré autant que Rome elle-même. « Les formes ont changé souvent, n’importe. Au milieu de tous leurs changemens, tant que Rome subsistera, le magistrat aura l’imperium illimité, le conseil des anciens ou le sénat sera la plus haute autorité consultative, et toujours, dans les cas d’exception, il sera besoin de solliciter la sanction du souverain, c’est-à-dire du peuple. » Ce qui fait accepter à M. Mommsen sans trop de peine l’avènement de la république, quoiqu’il préfère de beaucoup la monarchie, c’est qu’elle fut très conservatrice et qu’elle n’altéra pas le fond de la constitution ancienne. L’institution du consulat fut remarquablement combinée pour rassurer les esprits contre toute tentative d’usurpation personnelle, sans porter atteinte au pouvoir souverain. Il n’y a pas entre les deux consuls de partage d’attribution ; on craindrait d’affaiblir l’autorité en la divisant ; chacun d’eux la possède entière. C’est la coutume et non la loi qui fixe des limites de temps à leurs fonctions. Il est entendu qu’ils ne doivent rester qu’un an en charge, mais, l’échéance arrivée, ils abdiquent volontairement et ils paraissent élire à leur place le successeur que leur a donné le vote populaire. Il leur est même possible de se perpétuer au-delà de leur année, s’ils ne craignent pas les rigueurs de l’opinion publique ; leurs actes seront valables jusqu’au jour où il leur plaira de s’en aller. Tant que leur pouvoir dure, ils peuvent commettre toits les crimes, ils sont irresponsables, et c’est seulement lorsqu’ils ont quitté leur charge qu’on peut les