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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/817

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nitaires, il déplore d’avance « la plate uniformité qui régnera dans le monde quand les reliefs tranchés des peuples seront émoussés, et que l’originalité de leur caractère particulier se sera perdue dans les conceptions problématiques de la civilisation universelle. » Il est vrai que dans d’autres passages il s’exprime d’une tout autre façon. Il avoue alors pleinement qu’il est heureux pour nous que Rome ait vaincu la résistance des nationalités locales, il paraît même tout à fait séduit par la grandeur de l’œuvre gréco-romaine. « Les nations de second ordre s’écroulent, dit-il avec un ton d’enthousiasme, et parmi leurs débris se fonde silencieusement entre les deux peuples supérieurs le grand compromis de l’histoire ! » Voilà comment il aurait dû toujours parler. Si les préoccupations patriotiques n’obscurcissaient pas parfois son jugement, il aurait reconnu partout que cet accord qui s’établit entre l’esprit des deux grandes nations n’a pas été seulement un bien pour Rome, dont elle adoucit la rudesse, à qui elle donna le goût des plaisirs de l’intelligence, mais que ce fut aussi un bonheur pour l’humanité. C’est ce qui a répandu ce fonds d’idées communes sur lequel vivent les peuples modernes, et qui leur donne quelques moyens de s’entendre parmi tant de motifs qu’ils ont d’être divisés. Il n’est guère convenable de médire de ce bienfait quand on en profite. Je sais bien qu’après avoir été longtemps placé à Rome, le centre de cette vie commune du monde s’est trouvé transporté chez nous pendant deux siècles, notre littérature a été alors celle de toutes les nations civilisées, et c’est dans l’admiration de nos grands écrivains qu’elles se sont réunies. On comprend que ce souvenir chagrine l’Allemagne au milieu de ses triomphes ; mais qu’importe ? elle ne parviendra pas à l’effacer de l’histoire. Quant à nous, nos humiliations présentes nous font un devoir plus rigoureux de n’en pas perdre la mémoire et de le rappeler à ceux qui voudraient l’oublier.


II

La politique tient aussi une grande place dans l’Histoire romaine de M. Mommsen. Il ne néglige aucune occasion de juger les événemens et les hommes, et il le fait toujours avec une grande vigueur. Ici encore ses jugemens, quand on les compare entre eux, se contredisent quelquefois ; on retrouve dans sa politique le défaut que nous venons de signaler dans ses théories littéraires, et la raison en est la même. Cet esprit violent et extrême accuse trop énergiquement ses opinions, et il lui arrive de les exagérer pour leur donner plus de relief. De là quelques confusions et quelques contradictions de détail qui n’empêchent pas pourtant sa pensée de se dégager