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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/846

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France « par d’admirables modèles, » malgré la prédominance fatale dans notre pays de la famille instable.

Bien des objections se présentent tout d’abord quand l’auteur de l’Organisation de la famille recommande ce type spécial à ses contemporains en vue de travailler à leur régénération morale et sociale. Supposez que la loi testamentaire n’y mette point obstacle, rien ne nous paraît moins démontré que l’extension d’un tel régime en dehors des circonstances où il s’est développé à des époques reculées. Ces parties survivantes d’un édifice en grande partie détruit, dont elles attestent encore la solidité et la vigueur, peuvent-elles servir de modèle dans nos temps nouveaux ? L’idée de les imiter, surtout d’une manière si complète, n’est-elle pas un anachronisme ? Placez près d’un grand centre industriel ces familles des Basses-Pyrénées et de quelques autres parties de la France fidèles aux anciennes coutumes, sera-t-il possible que la famille-souche n’en souffre pas de profondes atteintes ? C’est un type adapté à l’agriculture, disons plus, à certaines conditions de l’agriculture, qui ne saurait être beaucoup généralisé. L’état des mœurs aussi bien que la constitution générale du travail dans notre pays s’y oppose. Une pareille organisation ne tend-elle pas à devenir non plus un type, mais une exception ? En vérité, nous craignons d’avoir trop raison contre M. Le Play lorsque nous regardons à chacun des traits si particuliers d’une telle famille, à cet héritage électif constitué par le père et de son vivant au profit d’un des enfans, à cette autorité de la mère, investie de tous les pouvoirs de direction et d’administration en certains cas, à ce groupe indissoluble de tous les membres, sauf de ceux qui émigrent, autour du chef de famille qui leur donne aide et protection. Que ce régime de quasi-communauté ait ses raisons de subsister, sa place dans l’ensemble de la société, ses côtés excellens, on ne le nie pas. Le proposer comme un exemple presque universel, comme une de ces réformes qui peuvent et doivent pénétrer dans les mœurs, par le fait seul de l’abrogation de tel ou tel article de la loi de succession, n’est-ce pas là qu’est le rêve ?

Nous aurions peur d’insister trop. Ainsi nous ne demanderons pas comment pourrait, au sein des villes, s’installer dans les trois quarts des cas la famille organisée sur un tel modèle. Il ne serait pas facile aux bourgeois, même jouissant d’une certaine aisance, avec leurs appartemens réduits et leur fortune médiocre, de fonder des familles-souches. Et combien de difficultés, de frottemens pénibles de nature à compromettre la bonne harmonie résulteraient de cette cohabitation dans un si étroit espace ! Serait-il facile aussi de maintenir une pareille agglomération avec la division des occupations