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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/850

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absolue, des erreurs du XVIIIe siècle, des révolutions déchaînées en 1789, enfin du matérialisme et des mœurs déréglées de notre temps. Elles luttent contre le système établi par le code civil. Il faut les compter, dit M. Le Play, par dizaines de mille, ce qui nous paraît limiter un peu les ravages accomplis par le code. Il en existe beaucoup dans le midi, et c’est parmi les paysans du Lavedan que l’auteur en va chercher des exemples, qu’il étudie avec un soin infini. Ces paysans du Lavedan, en gardant les mœurs des Basques, ont résisté mieux que nos autres races de petits propriétaires aux contraintes exercées, sous l’influence du code civil, par les agens du partage forcé. Allons plus loin : bien que les familles taillées sur ce patron modèle soient fort nombreuses dans certaines contrées de l’Europe, nulle part elles ne présentent ce degré de perfection. Dans le Lavedan, elles jouissent complètement des avantages inhérens à la meilleure organisation de la famille. En conférant autant que possible l’héritage à la fille aînée, les propriétaires de ce pays prolongent pendant vingt-cinq ans au moins la période de fécondité de chaque génération. Ils ne mettent point en lambeaux l’œuvre des ancêtres, mais ils partagent équitablement entre tous les rejetons de la vieille souche le produit net du travail commun ; ils conservent ainsi à la France l’un de ces foyers d’émigration riche qui se sont éteints dans les autres provinces, en Normandie notamment. La communauté et la cohabitation, fermement maintenues parmi les membres des générations successives, assurent aux groupes naturels fondés sur les liens de parenté les avantages qu’on s’efforce en vain de créer à l’aide d’associations factices. Cette combinaison fait d’ailleurs participer autant que possible la petite propriété aux avantages de la grande culture. N’oublions pas enfin que la coutume du Lavedan règle l’héritage dans les familles de tout rang, en haut comme en bas, ce qui évite ces distinctions blessantes si propres à développer les sentimens de haine et d’envie sous les régimes exceptionnels. C’est donc bien d’une organisation générale au moins dans cette région qu’il s’agit, et non pas d’un groupe spécial.

Pour donner plus de précision à cette peinture et plus de force aux conclusions qu’il en tire, l’auteur de l’Organisation de la famille produit à l’appui de sa thèse une de ses monographies les plus curieusement étudiées, destinée à mettre en évidence une obscure et séculaire famille du Lavedan qui bien évidemment ne s’attendait pas à un tel honneur. L’histoire des Mélougas (ce nom ou ce surnom désigne une honnête famille des environs de Cauterets) n’est qu’une mise en œuvre en quelque sorte dramatique des effets du code civil au chapitre des successions. Elle a pour objet