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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/851

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déclaré : 1° de faire l’éloge de la famille-souche et de la présenter à l’imitation ; 2° de montrer comment, après avoir résisté à l’action dissolvante de la loi d’égal partage, un modèle aussi intact et aussi pur peut finir lui-même par être altéré et même brisé. M. Le Play étudie cette famille en 1856, il en reprend l’histoire à partir de trente années auparavant, et elle ne se termine qu’en 1869. Le nom, l’âge et les relations des quinze membres qui la composaient en 1856 sont indiqués dans un tableau complet jusqu’à la minutie. Toutes les habitudes de vie sont passées en revue et donnent l’idée d’un intérieur respectable, animé, ordonné, heureux, quoique restant un peu à cet état de demi-enveloppement intellectuel que M. Le Play ne hait pas, et dont il nous a présenté d’autres spécimens bien plus accusés dans des pays à peine civilisés, notamment en Orient.

Au point de vue du bon ordre et du bonheur tranquille, il peut avoir raison. Ce coin d’idylle dans une société si agitée ne nous déplaît pas. La culture morale, même avec des lumières très restreintes, vaut mieux que le développement intellectuel incomplet, mal dirigé, si fréquent dans nos grands centres. Pourtant ces échantillons, pris dans l’orient de l’Europe en général, où l’homme paraît encore plongé dans une sorte de sommeil, sont-ils vraiment des types à recommander ? Cette famille du Lavedan s’offre d’ailleurs, eu égard à la situation modeste qu’elle occupe, dans des conditions à cet égard beaucoup plus satisfaisantes. On y possède l’instruction primaire unie à une forte éducation religieuse qui garde son empire pendant toute la vie. Les mœurs y sont exemplaires. La monotonie des habitudes n’y exclut pas cette gaîté qui tient ici au climat, au tempérament du midi, à la liberté et aux épisodes de la vie rurale. On y est robuste ; à soixante-quatorze ans, le maître de la maison prend part encore à tous les travaux. Les filles aînées, âgées de dix-huit ans, portent aisément sur les épaules et sur la tête, par des chemins difficiles, des charges de 80 kilogrammes. Elles ne se marient qu’après avoir acquis tout leur développement physique. La fécondité est grande, et elle peut l’être, grâce au régime spécial de succession qui préside au partage des fruits et des biens ; la maîtresse de la maison a en 1856 sept enfans vivans, sa mère en a eu douze, et sa grand’mère dix. La conservation intégrale du patrimoine permet aussi d’offrir à l’hygiène comme à la vie morale des enfans une foule de ressources. Tout s’est arrangé en vue de ces jeunes êtres à conserver, à développer. La médecine domestique trouve sous la main les plantes médicinales cultivées dans le jardin. L’association à une société de secours mutuels fournit l’assistance quelquefois nécessaire du médecin et du pharmacien. La famille est non pas riche, mais aisée. Elle possède comme