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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/918

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L’auteur qui a divisé quelque part tout le sexe féminin en deux classes, celle des demoiselles et celle des mères, a exprimé dans cette phrase un sentiment très honnête et très pur, mais qui découronne en un sens la vie humaine et la prive d’une de ses beautés. Si nous la prenions au pied de la lettre, il faudrait, pour l’écrire, être un sceptique en matière d’amour, ou un janséniste plus outré même que Pascal, puisque celui-ci a écrit sur les passions de l’amour un chapitre éloquent. Il est vrai que M. Augier entend par ce beau nom de mère celui de la femme vertueuse qui est pleinement digne de le porter. Quoi qu’il en soit, son talent dédaigne la tendresse, sa plume ne connaît pas les entraînemens du cœur. Ses préférences sont ailleurs : il aime à verser dans l’âme de ses personnages favoris les sentimens qui les agrandissent et les poétisent, la passion de la renommée, du désintéressement, je dirais de la gloire, si les limites du genre où se plaît son imagination le permettaient. Il obéit au précepte de Vauvenargues et s’attache aux passions nobles, mais sans aller jusqu’au bout ; il exclut de ses cadres l’ambition, la convoitise du pouvoir, l’audace des grandes entreprises. De là tant de rôles de poètes, d’artistes, d’ingénieurs, de militaires, d’hommes de lettres, qui se heurtent sur son théâtre ; de là surtout tant de charmans rôles de jeunes filles fières, pleines d’enthousiasme et d’indépendance vertueuse, à qui il faut un poète pour époux, poète par le cœur autant que par l’intelligence, et qui vont à lui hardiment, leur cœur dans une main et une bonne dot dans l’autre. En général, les poètes et les ingénieurs de M. Augier sont tout à la fois poétiquement et grassement récompensés.

La pièce de Lions et Renards, représentée à la fin de 1869, a médiocrement réussi ; toutefois il y aurait une lacune dans cette revue de la comédie contemporaine, si nous ne faisions une place assez large à l’écrivain qui semble y tenir jusqu’ici le premier rang. Un autre motif nous fait parler. Le repos où M. Augier s’est renfermé depuis donnerait lieu de penser qu’il ne songe pas pour le moment à renouveler l’épreuve : s’il en était ainsi, dans l’état du théâtre, nous ne prendrions pas notre parti de son silence aussi facilement peut-être qu’il le prendrait lui-même. L’ouvrage de Lions et Renards ressemble à tous ceux que l’auteur avait donnés jusque-là. On y trouve deux caractères qui ont en partage toutes les noblesses de l’âme, et deux ou trois autres qui sont capables de presque toutes les bassesses. En effet, M. Augier suit à sa manière le procédé de Corneille : il grandit ses héros en leur opposant des créatures qui ont les passions et les vices contraires à leurs vertus. Peut-être est-ce l’inverse, et l’auteur du Gendre de M. Poirier conçoit-il ses personnages sacrifiés avant de créer ceux