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qu’il veut ennoblir. On serait porté à croire que son esprit a d’abord pratiqué la première méthode, et qu’il faisait sa statue avant de songer au piédestal. Plus tard, il est venu un moment où la satire de tout ce qui lui paraissait digne de ses sarcasmes a occupé la première place dans ses créations : c’est l’époque des velléités aristophanesques dont les amis désintéressés de son talent ont déploré la veine fâcheuse. Dès lors il est visible que les rôles nobles et généreux ont été imaginés par lui pour faire contre-partie, et par une conséquence fatale ont paru plus ternes.

Il n’est guère douteux que la comédie de Lions et Renards a été composée pour mettre sous nos yeux les intrigues de deux fourbes, M. de Sainte-Agathe, un tartufe qui est affilié à je ne sais quelle société religieuse, la société de Jésus par exemple, et le baron d’Estrigaud, un coureur de grosses dots, petit-maître corrompu jusqu’à la moelle et-usé jusqu’à la corde, qui, se voyant battu sur son terrain, passe dans le camp de son adversaire, se fait tartufe à son tour pour commencer une autre carrière, et devient l’allié de M. de Sainte-Agathe contre l’ennemi commun, le noble et jeune Champlion. Ces deux intrigans, qui entre parenthèses semblent faire de l’art pour l’amour de l’art, sont les renards de la pièce. Mais pourquoi tant de ruses ? Il en faudrait une seule qui fût bonne. Rarement M. Augier a mis plus d’esprit dans un imbroglio, rarement plus d’habileté pour préparer les effets, pour ménager les transitions ; à quoi bon, si tant d’artifices doivent nécessairement échouer ? Les difficultés accumulées autour d’une intrigue ne sont intéressantes que par l’objet qu’on se propose ; toute la peine qu’on se donne peut-elle servir, peut-elle nuire au résultat désiré ? là est toute la question. Il s’agit d’un mariage que veut négocier la société religieuse de M. de Sainte-Agathe ; les spectateurs pourraient bien retourner contre M. Augier ces mots qu’il prête au baron d’Estrigaud : « voilà un grand déploiement d’énergie pour aboutir à un dénoûment de vaudeville. » On parle, il est vrai, d’une dot de 9 millions ; les auteurs dramatiques, pour agrandir leurs conceptions, disposent de trésors inépuisables, et 9 millions sont au-dessus de la portée d’un modeste vaudeville ; de si fortes sommes appartiennent à la haute comédie. Pourtant il faudrait que l’intrigue de deux fourbes d’une si haute volée eût chance de réussir ; mais si la main de Catherine de Birague dépend d’elle et de sa volonté, qu’elle ne laisse pas ignorer, si le loyal et courageux Champlion n’a rien à craindre, pas même le préjugé de naissance, et que la main et les millions ne puissent aller qu’à lui, pourquoi se mettre en si grands frais, d’esprit ? Le Sainte-Agathe et le d’Estrigaud, à la fin de la comédie, ont beau recommencer leur échange perpétuel de