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sol a été ébranlé sous nos pieds ; la vie, la pensée, se ressentent partout de la crise à la merci de laquelle nous sommes jetés, et M. Dumas seul ne changera pas ! Il reviendra frivole comme par le passé, toujours l’enfant gâté et le mauvais sujet de la littérature, avec son éternel demi-monde mal dissimulé et ses infantes à peine cachées sous le masque de grandes dames ! N’est-il pas temps d’en finir avec ces formes variées d’un vice toujours le même ? Il faut bien que l’auteur le sache, il confond trop le vice avec la passion, et l’erreur de la Princesse George n’a pas d’autre source. On ne saurait appeler passion une habitude qui ramène un homme vulgaire à l’objet de ses instincts matériels : ce n’est pas à un entraînement puissant ni fatal que la princesse est forcée de disputer son mari ; ce rôle de femme offensée, qui est la recommandation de la pièce, est bien amoindri par la nullité intellectuelle et morale du mari. Que dire de l’intérêt qu’elle doit inspirer ? Nous supposons qu’une femme est contrainte de guetter son mari au moment où il se glisse à la faveur des ténèbres dans un mauvais lieu : elle est certainement à plaindre ; mais vous n’en ferez pas, j’imagine, l’héroïne d’un drame. Le mari de la princesse George n’est pas plus digne de sa jalousie que de son amour. Il faut même que la rivale ne soit pas une créature subalterne ; si elle ne fait rien que de donner un rendez-vous en a parte, si elle ne dit rien qu’une tirade mêlée de rhétorique et de cynisme, si elle n’est rien qu’une Laïs sans grâce ni esprit, nous sommes en présence de tout autre chose que de la passion, et il faut tirer le voile sur ces misères, qui ne sont pas du domaine de l’art.

M. Dumas se pique de confesser ses contemporains : pourquoi ne commence-t-il pas par lui-même ? Il dédaigne avec raison d’obtenir par l’emphase ce qu’il appelle les gros applaudissemens : que ne se propose-t-il pour but les applaudissemens honnêtes, qui sont toujours d’accord avec le goût ? Il aime son pays ; c’est surtout ici que nous admirons son inconséquence. Quand on aime son pays, on ne s’applique pas à exagérer ses scandales, à compter curieusement ses plaies sans utilité pour la guérison, à lui prêter peut-être des maladies dont il est permis de douter. Quand on aime son pays, on ne favorise pas la malheureuse habitude qu’il a de se donner pour plus mauvais qu’il n’est, de chercher je ne sais quel bon air au détriment de la bonne renommée, de se montrer toujours fanfaron de vices : on s’efforce de réparer la mauvaise réputation qu’on a peut-être contribué à lui faire. Aimer son pays, c’est ne pas oublier que les ennemis de la France se délivrent à eux-mêmes des certificats de bonne vie et mœurs, et s’arment contre nous de tous les aveux qui échappent à la légèreté nationale. Aimer son pays,