Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/973

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de dix ans ? Alors-on peut se heurter contre des intérêts nombreux, vivaces, puissans, qui sont devenus la richesse du pays, qui se sont développés à la faveur de ce régime et ne céderont pas le terrain sans combat. Ne va-t-on pas au-devant d’une agitation comme celle-qui s’est récemment produite à l’occasion de cet impôt sur les matières premières qui reste toujours en réserve, qui n’a pu triompher encore des répugnances visibles de l’assemblée nationale et du pays ? S’il ne s’agit que de quelques modifications légères pour arriver à retrouver la disposition des tarifs et à se procurer quelques ressources, comme il est peut-être permis de le supposer, est-ce la peine d’avoir l’air de tout remuer dans l’ordre économique, de risquer beaucoup pour des résultats médiocres ou incertains ? Sans doute, en présence de la situation financière de la France, la question des ressources a une gravité supérieure ; rien n’est plus simple et plus juste que d’avoir des prévoyances de fiscalité, de se ménager tous les moyens de faire face à des charges qui dépassent toutes les proportions connues jusqu’ici. Le gouvernement ne fait que ce qu’il doit en cherchant tout ce qui peut porter une obole au budget, à ce budget dont le rapporteur, M. de la Bouillerie, faisait récemment un exposé cruellement instructif.

Qu’on y prenne garde cependant, on croit agir dans un intérêt fiscal, et on va quelquefois contre son but. On rétablit les passeports pour prélever un droit de circulation, et par le fait, sans parler d’une gêne toujours incommode, peu efficace pour la sûreté publique, on s’expose à refroidir les étrangers qui visitaient la France, à détourner ce courant de 600,000 Anglais qui venaient annuellement à Paris. Le parlement de Londres s’en est occupé, les conseils-généraux du Nord, du Pas-de-Calais, se plaignent ; l’essai n’a point réussi, et les passeports vont disparaître encore une fois par une résolution de M. le président de la république qui donnera certainement à cette mesure l’extension la plus libérale. — On a augmenté les droits de poste : rien ne semblait plus simple, c’était un impôt tout créé, auquel on était accoutumé, et qui, avec une augmentation légère, sans frais nouveaux de perception, pouvait devenir fructueux pour le budget. Seulement est-il bien sûr aujourd’hui que la surtaxe n’ait point atteint déjà le transit des correspondances étrangères par la France, et que le trésor ne finisse point par perdre de ce côté ce qu’il semble gagner d’un autre ? Récemment encore, à la dernière heure de la session, on a voté à la hâte un impôt sur les valeurs étrangères ; il se trouve malheureusement que le marché, français des capitaux serait atteint de la manière la plus sérieuse, au moment où il est le plus nécessaire de lui laisser toute sa puissance et son élasticité, — si bien que M. le président de la république, ému des considérations qui lui ont été soumises par les représentans, Les plus autorisés de la banque, a pris sur lui de suspendre la promulgation de la loi jusqu’au retour de l’assemblée. Enfin on profitera de la liberté qu’on aura recon-