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quise pour élever les tarifs de douanes : soit, les industries qui crient le plus, comme on le dit, sont assez riches pour payer ce qu’on veut leur demander. Et si le travail intérieur se ralentit, si les relations commerciales de la France diminuent, la perte ne dépassera-t-elle pas cent fois ce que le douanier aura prélevé à la frontière ? C’est là justement le danger d’une politique qui, sans le vouloir, conduirait infailliblement à une révolution d’intérêts par un déplacement inévitable des conditions du travail et de l’industrie. Pour une ressource de budget qu’on ne peut même pas se promettre immédiatement, on risque d’atteindre ou de ralentir un mouvement de richesse publique dans lequel la France peut trouver après tout le meilleur moyen de se relever de la situation difficile où les événemens l’ont conduite.

Puisque les traités de commerce sont dénoncés au moins à Londres et à Bruxelles, puisque c’est fait, le mieux est certainement aujourd’hui d’atténuer autant qu’on le pourra les conséquences de ce changement de régime, et de conduire les négociations qui vont sans doute se renouer de façon que ni les conditions du travail national, ni les rapports généraux de notre pays n’en soient altérés. Ce n’est pas seulement une question commerciale, c’est une question politique. Quelque soin qu’on ait mis du côté du gouvernement français, comme du côté du gouvernement anglais, à déclarer qu’un tel incident ne doit ni ne peut nuire à la cordiale intelligence qui existe entre les deux pays, il est bien clair que cela ressemble toujours plus ou moins à une séparation sur un point essentiel, qu’il peut en résulter des froissemens, et c’est là le danger. Ces traités de commerce, que représentent-ils en effet ? Ils représentent un rapprochement permanent d’intérêts, un lien tout matériel, si l’on veut, mais puissant encore, une certaine solidarité qu’il serait peu politique de laisser s’affaiblir. Ne voit-on pas aujourd’hui ce travail hardiment poursuivi par ceux qui, après avoir fait ce qu’ils ont pu pour exténuer et pressurer la France, semblent multiplier les efforts pour l’empêcher de renaître ? Leur politique est justement de nous isoler ; ils font ce qu’ils peuvent pour qu’on n’ait point recours à la France, pour qu’on ne passe pas par la France, pour détourner de nous les courans de relations qui en d’autres temps ont fait de notre pays le centre vivant et préféré de l’Europe. Ils organisent des communications directes avec l’Italie, ils en organiseraient même au besoin avec l’Espagne pour éviter le sol français. Toute leur ambition est d’opposer une industrie à notre industrie, même un marché financier à notre marché. Le succès n’est point aussi facile qu’ils le croient assurément, ils ne savent pas ce qu’il y a encore de vitalité en France. Dans tous les cas, ce n’est pas à nous de les aider en nous isolant nous-mêmes, en laissant s’accomplir jusqu’au bout ce mouvement qui tend à détourner de notre pays les relations du nord avec le midi de l’Europe, de l’Angleterre avec l’Inde, de l’Allemagne avec l’Amérique, en dénouant de nos propres mains tous