Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/975

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces liens d’industrie et de travail dont les traités de commerce sont la consécration visible et la garantie. Les intérêts ne sont que des intérêts sans doute ; il y a des momens où ils sont dans la main des hommes d’état le levier le plus efficace pour relever la politique de leur pays.

À quoi cela a-t-il servi qu’il y eût des traités de commerce ? dira-t-on. Cela ne nous a guère servi dans nos dernières épreuves, nous en convenons, cela n’a pas non plus servi beaucoup à l’Angleterre d’oublier les liens d’intérêts de toute sorte qui la rattachaient à la France, et, tout considéré, cela n’a même pas servi à la fortune du ministère, qui est peut-être exposé à expier d’ici à peu cette abdication qu’il a érigée en système.

Est-ce que l’Angleterre en effet serait sur le chemin qui conduit à un changement de politique ? Le fait est que le ministère de M. Gladstone, sans être positivement en péril de mort immédiate, semble assez ébranlé dans sa situation. Il n’a pas été heureux, sa politique n’a pas su détourner de l’Angleterre de véritables déboires. Sans doute il est doux de savourer dans son île l’égoïste et suprême volupté de la paix pendant que les autres sont ballottés par l’orage. C’est là le premier mouvement ; le lendemain, on commence à s’apercevoir que décidément on n’a pas joué un rôle brillant, ni même un rôle profitable. Les mécomptes se succèdent : un jour on est réduit à se faire soi-même très diplomatiquement le fossoyeur de ce traité de Paris qui était le prix de la guerre de Crimée ; un autre jour on se réveille en face de cette question de l’Alabama qui passe par toutes les péripéties, qui va prochainement arriver, avec toute sorte de mémoires, de contre-mémoires, d’explications, de réserves, devant la conférence arbitrale de Genève, qui finira sans doute par une transaction, mais qui ne reste pas moins un cuisant ennui pour l’orgueil britannique. La dénonciation du traité de commerce français, c’est moins grave, si l’on veut, ce n’est pas pourtant un succès. Le ministère porte évidemment aujourd’hui la peine de tous ces mécomptes devant l’opinion émue, mécontente de la situation effacée faite à l’Angleterre. M. Gladstone réussira-t-il à se maintenir malgré tout ? Succombera-t-il définitivement dans quelque rencontre obscure ou dans une lutte ouverte ? Ce qui apparaît assez clairement, c’est qu’il n’a plus, comme aux premiers temps de son existence, le vent dans ses voiles. Il se sent pressé par des adversaires qui ont désormais un programme de griefs tout trouvé contre lui, qui ont pour complice la fierté britannique froissée, et qui s’avancent maintenant avec la confiance d’héritiers assurés de recueillir une succession près de s’ouvrir. Ces jours derniers, lord Derby, qu’on a connu il y a quelques années ministre des affaires étrangères sous le nom de lord Stanley, ne disait-il pas sans détour qu’il n’y avait plus à s’occuper de la majorité actuelle du parlement, mais de la majorité qui sortirait des élections prochaines ?

Le parti conservateur, après une retraite obligée de quelques an-