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population, tant qu’on était sous les armes en face de l’ennemi extérieur et que tout espoir de succès n’était pas perdu, le gouvernement pouvait se défendre encore, maintenir une certaine paix intérieure du moment. Les factions s’agitaient et grondaient sans pouvoir triompher. Paris, j’en conviens, a dû, pendant ces cinq mois, aux conditions exceptionnelles où il se trouvait d’échapper au sort de Lyon, où florissait déjà la commune avec l’Internationale, avec ce que M. Challemel-Lacour appelle une « bande composée de ce qu’il y a de pire dans le mauvais. » Le jour où le cri funèbre de la fin du siège, de la capitulation allait retentir, que restait-il ? tous ces élémens de dissolution et de révolte retrouvaient en quelque sorte leur liberté, tandis que tous les ressorts généreux se détendaient d’un seul coup et que le gouvernement lui-même, humilié, vaincu, atteint d’une irrémédiable impopularité, tombait dans cet abattement dont parle M. Jules Favre, dans cette impuissance où il n’était plus que l’image sans prestige de cinq mois de misère inutile. Le dénoûment est là tout entier. S’il tarde six semaines, c’est qu’il faut franchir le dernier écueil de la famine qui menace, c’est que tout n’est pas prêt encore.


III

Ce n’est pas du ressentiment de la défaite et de la paix qui en a été la douloureuse rançon, ce n’est pas même de la colère provoquée par l’entrée des Prussiens à Paris, qu’est née l’insurrection du 18 mars. Les héros de l’insurrection ont exploité ce ressentiment, ils ont bien donné depuis la mesure de leur sincérité par l’empressement qu’ils ont mis dès le premier jour de leur victoire à reconnaître cette paix dont ils se faisaient un grief, à s’entendre avec les Prussiens qui entouraient Paris. Le mouvement du 18 mars est sorti en quelque sorte tout armé de la situation morale, politique, mise à nu par l’armistice du 28 janvier 1871. Rassemblez en effet les élémens de cette situation : une prostration irritée succédant tout à coup à une exaltation de patriotisme jusque dans la partie la plus saine de la population, des aberrations mentales engendrées par le siège, des masses indisciplinées, enlevées au travail, perverties par une existence soldée d’oisiveté et d’aventures, une garde nationale incohérente et froissée dans son orgueil, les passions les plus furieuses fomentées par les journaux révolutionnaires et par les clubs, une conspiration en permanence de tous les chefs de sédition. Que faut-il pour mettre le feu à cet amas d’élémens incandescens ? Une étincelle, Un prétexte. Après avoir déjà subi l’inévitable sous tant de formes, il y avait à le subir sous une dernière forme, qui résumait toutes les autres. M. Jules Favre le dit :