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périodiquement tout ce que les fléaux de la guerre et de l’invasion peuvent enfanter de calamités ; Tonnerre, Joigny, Auxerre, Avallon, Semur, ont subi de durs assauts : seule, Dijon a été à l’abri de ces épreuves. Tout humble et petite encore, lorsque commença l’invasion germanique, elle dut à son obscurité d’échapper aux maux qui fondaient sur les cités plus antiques et plus illustres. Tranquille sous les bons barbares qui donnèrent leur nom à la Bourgogne, épargnée sous les rois francs, bien défendue sous les ducs de la décadence carlovingienne, elle vécut dans une sorte de libre esclavage sous les ducs de la première race capétienne, et, lorsqu’enfin l’ère des franchises communales fut arrivée, elle obtint sans coup férir, à titre de pur don princier, les libertés que les autres villes avaient eu à payer par la révolte, l’anarchie et le sang versé. À cette longue enfance, si heureuse en des temps qui furent si troublés, succéda, lorsque le roi Jean eut fait passer à son quatrième fils l’héritage de Philippe de Rouvre, une adolescence d’un éclat et d’une vie extraordinaires. Philippe le Hardi, qui aurait pu tout aussi justement être nommé le magnifique, l’embellit de superbes édifices, et lui prodigua le luxe des arts. La France baignait alors dans son sang : aux horreurs des guerres anglaises vinrent bientôt se joindre les horreurs plus grandes encore de la guerre civile, l’anarchie des grandes routes, les déprédations des soldats d’aventure ; Dijon entendit parler de tout cela et n’en connut rien par elle-même. Pendant que l’Anglais rançonnait les provinces, que Bourguignons et Armagnacs dégorgeaient, Dijon était en fêtes et retentissait de passes d’armes et de carrousels. Tout lui réussissait, même la grande trahison nationale de ses ducs. Enfin la mort du Téméraire vint mettre fin à l’existence de la Bourgogne ducale. La Bourgogne n’étant plus qu’une province, relevant de la couronne, Dijon fut menacée de perdre son importance, car il était évident que dans cette transformation la première place appartiendrait désormais à la ville qui serait le siège de la cour souveraine ; or ce privilège, sous les ducs, appartenait principalement à Beaune, et Louis XI pensait à le lui conserver lorsqu’il résolut de transformer en parlement fixe cette cour à assises irrégulières. Par une chance inouïe, Dijon l’emporta cette fois encore[1]. Alors commença pour cette ville une nouvelle existence qu’on peut appeler sa période de maturité, moins brillante que l’ère précédente, mais d’une prospérité plus solide. Tous les biens qui font les heureuses maturités, une

  1. Au moment où nous commençons ces pages, nous recevons une brochure pleine de curieux détails sur le palais de justice de Dijon par M. Henri Beaune, magistrat en cette ville, et nous y lisons que ce fut grâce aux habiles manœuvres de deux Dijonnais, Odinet Godran et Thomas Berbisey, que Dijon l’emporta sur Beaune en cette circonstance importante.