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inspirée et qu’il voulut ravoir son bien ; Casimir refusa de le rendre. Alors pour réparer le mal qu’il s’était fait à lui-même, Wladislas prit l’ingénieuse résolution de se ruiner complètement ; il vendit à vil prix un autre de ses duchés à son oncle, et s’en alla courir le monde.

Il fit le voyage de terre-sainte, revint en Europe, résida en Autriche, et s’unit quelque temps aux chevaliers teutoniques pour faire la guerre à cette Lithuanie, encore païenne en plein XIVe siècle, dont le grand-duc devait vingt-cinq ans après s’asseoir à sa place sur le trône de Pologne ; son caractère altier ne tarda pas à le brouiller avec ses compagnons d’armes. Tant que son escarcelle princière put résister, tout alla bien ; mais cette escarcelle, Wladislas, toujours imprévoyant, avait négligé de la remplir suffisamment à son départ, en sorte qu’elle fut bientôt vide. On peut supposer d’ailleurs, sans courir risque de le calomnier, qu’il était de la nature de cet Albert Laszki, son compatriote, qui sous le règne d’Elisabeth étonna l’Angleterre de son faste, et qui, après avoir dépensé en deux ou trois années une fortune prodigieuse, essaya de la reconstruire en en consumant les débris pour faire de l’or. Ce ne fut pas à l’alchimie, ce fut à la religion que Wladislas demanda un remède contre le dénûment. Par une de ces résolutions désespérées qui lui étaient familières, il se rendit en Bourgogne, et n’eut de cesse qu’il ne fût reçu moine dans l’ordre de Cîteaux, sans s’être informé, paraît-il, au préalable, de la règle qu’on y suivait. Or cette règle, qui était celle de saint Bernard, était des plus sévères, et Wladislas en eut bien vite assez. Celui qui avait pensé que sa qualité de prince le mettait au-dessus des lois de son pays devait penser à plus forte raison qu’elle le mettait au-dessus des règles de son couvent ; un beau jour donc, il partit de Cîteaux sans prévenir l’abbé, et s’en alla frapper à la porte de Saint-Bénigne de Dijon, dont la règle était moins dure. Ce ne fut pas sans difficultés qu’il y fut reçu ; mais enfin son entêtement l’emporta, et il y vécut plusieurs années assez heureusement, sous le titre de frère convers, d’une pension que lui faisait le roi son oncle.

Ce calme fut rompu en l’année 1370. Le roi Casimir mourut en désignant pour son héritier au trône de Pologne Louis d’Anjou, roi de Hongrie, mari d’Elisabeth, fille de la propre sœur de Wladislas. Cette nouvelle réveilla les anciennes ambitions du prince, l’heure était venue en effet où elles auraient pu se réaliser ; mais quoi ! il s’était lui-même exilé volontairement de Pologne et s’était fermé le chemin du trône par sa conduite aventureuse et ses vœux imprudemment contractés. Il resta plongé quelque temps dans l’hésitation ; enfin toute indécision cessa lorsqu’il vit arriver à Dijon une