Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enseignement religieux sur le programme des écoles communales, en mettant les congréganistes sur le même pied que les instituteurs sortis des écoles de l’état, en éliminant le principe de la gratuité, il s’est mis en opposition flagrante avec la fameuse devise : enseignement gratuit, laïque et obligatoire. Il n’en retient qu’un seul terme, le dernier. Pour notre part, nous irions beaucoup plus loin dans la voie de la sécularisation des écoles qui dépendent de l’état. On peut donner à l’enfance un solide enseignement religieux sans imprimer un caractère confessionnel à l’école communale, qui n’appartient à aucun culte. L’idéal serait de séparer non-seulement l’église, mais encore l’école de l’état, sous la réserve d’une inspection sérieuse et en accordant de larges subsides, dans la proportion de son importance, à tout établissement scolaire qui répondrait à des conditions déterminées. L’enseignement religieux pourrait être ainsi donné selon le vœu des familles, sans porter atteinte aux droits de la conscience et sans froisser aucune minorité. C’est le régime qui a longtemps dominé en Angleterre. En tout cas, le projet du ministre s’est tenu à l’égard de l’enseignement laïque dans la réserve la plus prudente.

La guerre contre l’instruction obligatoire se poursuit à la fois par la presse et par le pétitionnement. Parlons d’abord des brochures. Nous avons les imprudens, les enfans terribles, qui disent sans ménagemens ce qui est la pensée générale et dominante du parti ; puis viennent les prudens ou les modérés, qui donnent une certaine tournure libérale à leur opinion, ou bien qui font loyalement certaines concessions à l’opinion publique. Nous rangeons dans la première catégorie les brochures qui déclarent sans ambages leur profond dédain pour l’instruction en soi, et tiennent l’ignorance en haute estime. « Savaient-ils donc tous lire, s’écrie triomphalement un des bons abbés qui font le coup de feu dans cette guerre sainte, les vainqueurs de Tolbiac et d’Austerlitz ? De bonne foi, peut-on dire que l’électeur soit requis de savoir lire et écrire pour connaître ses intérêts ? Ne voit-on pas souvent les paysans faire des dupes parmi les gens lettrés ? » Admirable raisonnement contre la nécessité de l’instruction ! On peut sans elle arriver à ce degré d’intelligence qui permet de voler un savant ! Ne nous étonnons pas trop de ces excentricités. En réalité, l’école ultramontaine n’aime pas l’instruction ; elle n’y pousse que quand elle est forcés. Elle préfère à tout autre un peuple aveuglément soumis. Dans tous les pays où elle a dominé, elle n’a rien fait pour instruire les masses. Elle n’y a aucun intérêt. Un ardent député de la droite, au milieu d’un débat sur les surtaxes de pavillon, se lançait tout à coup dans une apologie du marin, qu’il caractérisait par ces mots : ignorant