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instrument utile, mais ne saurait être appelée un bien nécessaire. Le pétitionnement qui se poursuit dans les communes rurales mérite surtout d’être signalé. Les femmes, les jeunes filles, les enfans, sont invités à donner leurs noms. Les commentaires injurieux ou diffamatoires vont leur train. Les agens chargés de recueillir les signatures déclarent hautement qu’il s’agit d’empêcher le triomphe de l’athéisme, que l’infâme projet de loi dont il s’agit veut enlever Dieu à la France. Une véritable guerre sainte est prêchée contre l’obligation. Les malheureux instituteurs qui ne veulent pas participer à ce mouvement, dirigé contre leur propre cause, sont voués au mépris et soumis à des vexations de toute sorte. Ce qu’il y a de plus grave, c’est le texte même des pétitions mises en circulation, on est en droit de leur reprocher de manquer absolument à la vérité en présentant le système d’obligation sous le jour le plus faux. Au lieu de parler directement du gouvernement qui a proposé la loi nouvelle, on dit que la presse et les conseils-généraux demandent que l’instruction religieuse soit rayée du cadre des matières de l’enseignement primaire. Comme ce pétitionnement n’a commencé qu’au lendemain de la présentation du projet de loi, c’est bien le projet ministériel qu’il vise ; les ardens le disent d’ailleurs tout haut, même en chaire. Grâce à une circonlocution bien choisie et qui prête à l’équivoque, on peut noircir à son aise ce que l’on tient surtout à écarter en se ménageant une retraite assurée, si d’aventure des justifications embarrassantes étaient demandées. La pétition du comité de la rue de Grenelle est celle qui a le plus de faveur ; elle invoque la pitié publique pour le malheureux père de famille obligé de livrer son enfant aux hommes athées qu’on va préposer à l’école. Elle circule dans toute la France de maison en maison. On a trouvé bon dans certains diocèses de lui ajouter quelques enjolivemens. Dans un de nos centres religieux les plus importans, la conclusion a été modifiée de cette façon : « nous demandons que ledit projet de loi soit rejeté, et que les bornes restent là où les a placées Charlemagne. » La propagande contre l’instruction obligatoire se poursuit avec une activité croissante. Elle a ses missionnaires infatigables. On sait faire appel aux intérêts divers avec une grande habileté, qui n’exclut pas la violence ; dans les villes où l’esprit religieux et conservateur a gardé de l’influence, on parle de l’abîme des révolutions et de l’irréligion ; dans les campagnes, on insiste davantage sur la situation difficile que les idées révolutionnaires font aux agriculteurs. Dans beaucoup de communes, l’instituteur est devenu un véritable paria, le représentant, le bouc émissaire de l’impiété. Il a beau remplir ses devoirs et observer scrupuleusement la loi dans ses dispositions religieuses, il n’en est pas moins