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les plus élevés de l’ordre religieux et-moral, à l’avenir même de la patrie. « Ce projet, disent les pétitionnaires, serait à nos yeux un malheur public plus cruel que tous nos désastres. » Les évêques consentent à reconnaître que tout le monde est d’accord pour souhaiter une large et intelligente diffusion de l’instruction ; mais ils se montrent très satisfaits des progrès déjà obtenus, leur grandeur dédaigne les chiffres désolans de la statistique. A les entendre, la France a marché à pas de géant dans cette voie ; ils en concluent qu’il n’est point nécessaire d’aller plus vite. Les vœux de nos conseils-généraux exprimés au lendemain de nos défaites ne sont que des illusions. « Nous touchons presque au but désiré, » disent ces hommes d’une grande foi, qui ont renoncé à se guider par la constatation des faits dans les choses terrestres. Vient ensuite la grande déclamation contre l’obligation. Défenseurs émus de la liberté de conscience quand il s’agit d’apprendre à lire aux enfans, ils oublient leur adhésion flagrante aux doctrines qui la nient et refusent la liberté du culte partout où domine la papauté. Ils dédaignent le droit, si hautement reconnu par le projet de loi, de fonder des écoles libres, par le seul motif que ces écoles seront soumises au contrôle de l’état. On voit clairement qu’ils veulent s’emparer de l’école communale et donner à l’enseignement de l’église un caractère officiel. Leur protestation n’est pas moins vive contre la nécessité du brevet de capacité pour les religieuses. Toutes ces obligations reviennent d’après eux à l’athéisme obligatoire. Ils terminent par un cri d’effroi et de colère à la vue « de ces légions de la libre pensée qui menacent la civilisation chrétienne et la liberté. »

Pour donner une idée de ce qu’est à l’heure actuelle la campagne entreprise par l’ultramontanisme sur tous les points du pays, il faudrait entrer dans des détails presque minutieux. On verrait avec quel art perfide et quelle violence elle est conduite par les subalternes du parti. Nous avons d’abord les circulaires des comités catholiques d’éducation et d’enseignement qui se maintiennent encore à une certaine hauteur, et se bornent à répéter les assertions des évêques. La Société générale d’éducation et d’enseignement, dans sa protestation contre l’obligation, n’hésite pas à dire que le droit de l’état ne pourrait être placé au-dessus de celui de la famille qu’autant qu’il serait prouvé que le père, en ne procurant pas à son fils l’instruction primaire, le prive d’un bien nécessaire à son âme comme le pain l’est à son corps, que, même dans ce cas, la prédominance du droit de l’état serait douteuse parce qu’il s’agit d’un bien de l’ordre moral, dont l’appréciation est du ressort de la conscience ; que, réduite à elle seule, l’instruction primaire est un