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« toussant et fébricitant dans son auberge, » étourdi du vacarme de la cohue tudesque au milieu de laquelle il se tenait caché, Dubois rêvait aux moyens de se découvrir à l’ambassadeur français, Chateauneuf, sans être reconnu par le personnel de l’ambassade. Un matin donc, dissimulant la moitié de sa figure sous une vaste perruque, comme Scapin sous son manteau, il se rend à la chapelle où Chateauneuf entendait la messe ; mais, trahi par une toux fâcheuse qui attire sur lui l’attention des assistans, il brusque « sa prière, » descend aux écuries, et, pour se donner une contenance, se pose en amateur de, cavalerie, admirant la beauté des chevaux de l’ambassadeur. Survient Chateauneuf, qui après la messe passait la revue de ses équipages ; saisissant l’à-propos, Dubois se fait connaître. Restait une difficulté grave : quel jour et en quel lieu débarquerait le roi ? Nul ne le savait, pas même l’ambassadeur ; ce débarquement était un secret d’état. L’abbé se désespérait en pensant que sa mission pouvait échouer sur ce premier écueil et son pot au lait se briser. « Je compris que, si je manquais ce moment, je n’avais qu’à m’en retourner avec la seule consolation d’avoir eu bonne intention et d’avoir pris beaucoup de peine inutile, comme don Quichotte, pour venger les torts faits à l’honneur et à la vertu. » Il couvre d’éclaireurs la côte et les chemins qui y conduisent, fait surveiller les mouvemens de l’ambassade anglaise, et pendant les heures d’attente occupe l’impatience de son esprit inquiet à rédiger la demande de rendez-vous qu’il adressera au comte Stanhope. Ce billet, qui allait tout engager et qui pouvait tout rompre, est tourné en sept façons différentes ; la dernière est la meilleure et la plus courte : « Je n’ai pu résister, milord, à la tentation de profiter de votre passage par la Hollande pour avoir l’honneur de vous embrasser. Je suis à La Haye à l’insu de tout le monde et entièrement inconnu ; je vous en demande le secret, et je vous supplie de vouloir bien me faire savoir en quel endroit vous jugerez à propos que je me rende, et en quel temps, pour pouvoir vous entretenir librement ; j’espère que vous voudrez bien accorder cette grâce à l’ancienne amitié dont vous m’avez honoré et à l’intérêt sincère que je prends à tout ce qui vous regarde. »

Le succès ne pouvait échapper à des mesures si bien concertées. Informé à temps par ses émissaires, Dubois brûle le pavé sur la trace de l’ambassadeur anglais, rejoint le roi, débarqué le 20 à Masensluis, et le 21 il voyait Stanhope. Là, il joue si naturellement les divers rôles qu’il a étudiés, mêlant dans ses discours une feinte indifférence à une exacte connaissance des questions, parlant de ses livres, de ses tableaux, de ses infirmités, des eaux de Saint-Amand qu’il va prendre, des avantages d’une solide union entre la