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Un incident vint compliquer les embarras que lui donnait l’agitation des chancelleries européennes : son cuisinier tomba malade. Alité lui-même, incapable de travail, il surmonta ses douleurs et écrivit à tous ses amis de France de lui chercher un maître-queux du premier ordre. Une liste de candidats lui fut envoyée qu’il discuta fort sévèrement : « vous me parlez du cuisinier de feu M. d’Armenonville ; mais M. d’Armenonville ne se connaissait pas en bonne chère : l’évêque d’Orléans son frère ne mange que des salsifis, et il est impossible qu’il sorte de cette école un bon officier. » Aux séductions de la table, Dubois ajoutait les soins délicats de la galanterie. Ayant longtemps vécu dans une condition subalterne et observé de ce point de vue l’envers et le dessous des choses humaines, le jeu des ressorts mystérieux qui déterminent la volonté des puissans de ce monde, en un mot les adresses infinies du grand art de plaire, il avait appris à estimer l’efficacité pratique des petits moyens : renfort utile qui doublait les ressources de son intelligence supérieure. Suivant le biographe anonyme, déjà cité, les manières insinuantes de l’abbé Dubois et la grâce de son esprit l’avaient mis en faveur auprès du sexe ; « s’il eût été homme à bonnes fortunes, il aurait fait beaucoup de conquêtes. Ceux toutefois qui connaissent la carte du pays de Tendre savent qu’il y a voyagé agréablement, mais toujours avec discrétion. » Ses habiles prévenances se font sentir en même temps à Londres et à Paris. Il se met aux ordres des princesses d’Orléans pour les raretés et les curiosités d’Angleterre ; il fournit de boîtes d’épingles la Palatine, qui lui a recommandé cette fantaisie : à Londres, il distribue aux dames de la cour des étoffes précieuses et des robes à la mode de Paris.

Avec quelle attention il étudie le dessin des étoffes, en assortit les nuances à l’éclat particulier de la beauté des dames ! C’est une affaire d’état : il écrit à Mme Law, à Mlle Fillion, couturière, et met en campagne l’éternel neveu ; il envoie, avec les mesures, des indications détaillées sur la couleur des cheveux, l’air du visage et l’embonpoint de la personne, sans oublier l’article des doublures. « Je vous prie, madame, de choisir une étoffe riche dont le fond soit blanc pour en faire un habit à la duchesse de Munster, qui est une très grande et très grosse femme, qui a des cheveux et des sourcils noirs et la peau fort blanche. Il faut un autre habit riche pour Mlle de Schulembourg sa nièce, qui a des sourcils noirs et des cheveux châtains. Il faut en outre deux étoffes fort riches pour faire deux habits à deux jeunes dames, parentes de milord Stanhope. Avec ces six étoffes, il en faut encore de deux façons pour faire deux vestes ou tuniques à la turque, de sorte qu’il en faut six aulnes pour chacune. Il faut que ces deux dernières étoffes soient