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fait : il gouverna les Romains à titre de délégué et de représentant de l’autorité romaine.

La cour de Constantinople avait précisément pour politique de conserver avec soin sa suzeraineté nominale sur toutes les parties de l’empire, espérant reprendre un jour l’autorité réelle, comme elle le fit en effet pour l’Italie et pour l’Afrique. L’empereur Anastase avait donc le même intérêt à conférer cette délégation que Clovis à la recevoir. Il envoya au chef franc, qui avait déjà le titre de patrice, « un diplôme qui y ajoutait celui de consul et même celui d’Auguste ; il lui adressa en même temps la chlamyde, le bâton de commandement, même la robe de pourpre et le diadème ; revêtu de ces insignes, Clovis fit dans les grandes villes une entrée solennelle, suivant la mode romaine, et voulut qu’on l’appelât patrice et Auguste. » Tel est le récit textuel de Grégoire de Tours. La critique historique peut bien faire quelques réserves sur certains points de ce récit. On peut objecter que Clovis n’est pas mentionné sur les fastes consulaires, et que par conséquent il n’a pu recevoir tout au plus que le diplôme honoraire de consul. On peut dire encore qu’il eût été bien contraire aux habitudes de la cour de Constantinople de conférer à un chef germain le titre d’Auguste ; qui était le titre le plus sacré de l’empereur. Il est probable que le souvenir de ces faits, qui paraissent avoir vivement frappé les imaginations, avait été un peu altéré avant de parvenir à Grégoire de Tours, et que l’intérêt des rois ou le goût des peuples avait ajouté quelque chose à la réalité. Une chose du moins paraît hors de doute, c’est que Clovis reçut de l’empereur la délégation de l’autorité. Il ne pouvait penser à régner ni par la grâce de Dieu, principe absolument inconnu en ce temps-là, ni par droit de conquête, puisqu’il n’avait pas conquis la Gaule, ni par la volonté nationale, puisqu’il n’entrait dans l’esprit de personne de consulter les populations ; il exerçait à titre d’intermédiaire et par le consentement formel des empereurs le pouvoir impérial.

C’est apparemment pour cette raison que Clovis ne prit jamais le titre de roi des Gaules. Il n’était roi que des Francs. Pour les Gaulois, il était, comme les anciens préfets du prétoire ou comme les patrices burgondes, un représentant et presque un fonctionnaire de Constantinople. Dans les actes officiels, Clovis s’intitulait rex Francorum et vir illuster. Ce titre d’homme illustre n’était pas une appellation élogieuse ; c’était un terme officiel usité depuis plusieurs siècles dans l’empire romain et qui désignait formellement les fonctionnaires du rang supérieur, tels que les préfets du prétoire. Les mots rex Francorum marquaient donc l’autorité de Clovis sur les Francs ; les mots vir illuster indiquaient son rang dans la hiérarchie impériale et la nature de son autorité sur la population gauloise.