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L’allié du roi, Pitt, devenu ministre à vingt-quatre ans, lutta pour un souverain qui ne l’aimait point, et mit les grandes familles en déroute ; cependant, soutenu au pouvoir par sa popularité, par les erreurs de Fox, par la guerre avec la France, il contint la prérogative royale. Le roi le subissait sans pouvoir lui pardonner sa hauteur et son génie. Enfin la folie du roi livra tout au parlement ; elle fit de la royauté une fiction. Si aucun parti ne proposa d’interdire le souverain, ce respect même mettait l’interdit sur la fonction souveraine ; la nation aimait son pauvre vieux roi, mais elle ne se sentait plus gouvernée que par le parlement.

Dans George IV, le prince de Galles avait d’avance tué le roi ; son alliance haineuse avec l’opposition, ses procès, ses vices, son mariage secret, le livrèrent désarmé aux partis. La prérogative enfin passa aux mains délicates d’une femme ; elle s’y dépouilla de tout caractère oppressif ; elle se fit plus impersonnelle. La reine, protégés par son sexe, par une vie sans tache, par l’intégrité de son caractère, a joué comme sans effort ce rôle suprême d’arbitre entre les partis que les théories constitutionnelles lui assignent. La nation l’aperçoit au-dessus des partis, plutôt résignée à la grandeur que jalouse de s’en parer, fidèle à des conseillers sans avoir de favoris, humaine, ennemie de la guerre ; elle ne s’est jamais liguée avec un parti contre un autre parti, elle n’a jamais conspiré contre les communes. Elle a régné au grand jour ; elle n’a eu ni diplomatie secrète, ni politique occulte, ni cour ennemie du parlement. La reine a très nettement tracé en 1852 le programme de ce qu’elle regardait comme les droits de la couronne dans une note qui fut lue par lord Russell au parlement. Ce mémorandum était ainsi conçu : « La reine exige d’abord que lord Palmerston (il était alors le chef du cabinet) dise distinctement ce qu’il propose dans un cas donné, afin que la reine sache elle-même distinctement ce à quoi elle donne la sanction royale. Ensuite, quand elle a donné sa sanction à une mesure, elle exige que cette mesure ne soit point arbitrairement altérée ou modifiée par le ministre. Elle est obligée de considérer un tel acte comme un manque de sincérité envers la couronne, lequel mérite d’être puni par l’exercice constitutionnel du droit de renvoyer le ministre. Elle s’attend à être informée de ce qui se passe entre lui et les ministres étrangers avant que des décisions importantes ne soient prises sur leurs rapports, à recevoir les dépêches en temps convenable, à recevoir les documens qui ont besoin de son approbation à temps pour qu’elle puisse bien en connaître le contenu avant expédition. » On ne peut trouver ces prétentions exagérées : le premier ministre soumet à la reine toutes les décisions importantes du cabinet, il lui fait connaître les