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principaux scrutin du parlement ; mais elle ne prend point de part aux discussions du cabinet. Les théoriciens politiques ont cherché en Angleterre l’exemple de la séparation des trois pouvoirs, mais le secret de la constitution anglaise est au contraire dans le mariage du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Qu’est-ce que le cabinet ? C’est un comité des assemblées législatives investi de toutes les fonctions exécutives. Le premier ministre est un souverain électif et révocable qui gouverne au nom du souverain héréditaire. Les ministres sont nominalement les serviteurs de la reine, en fait ceux du parlement. En théorie, c’est le souverain qui choisit les membres de la commission exécutive ; en pratique, c’est la majorité des communes. Un ministère renversé, le souverain appelle le chef du parti vainqueur, qui amène ses amis, ses adhérens, tous ceux qui ont préparé la victoire ou qui peuvent la consolider.

Le cabinet commença par la cabale. L’institution qu’on regarde aujourd’hui comme l’organe essentiel du gouvernement parlementaire fut regardée d’abord avec méfiance. Les ministres étaient les hommes du roi ; ils se nomment encore les ministres de sa majesté, car en Angleterre les mots changent longtemps après les choses, tandis qu’en France les choses ne changent que longtemps après les mots. Au début, il n’y avait aucune solidarité dans le cabinet ; aujourd’hui cette solidarité est si étroite qu’un ministre est responsable d’une mesure qu’il a combattue dans le conseil. S’il diffère de ses. collègues sur un point important, il doit se démettre. Les délibérations du conseil sont enveloppées d’un secret absolu ; on ne tient aucun procès-verbal des séances. Les ministres n’écrivent point, ne racontent jamais ce qui s’y passe. Il y a une saveur presque révolutionnaire dans cette proposition : le cabinet est un comité des chambres ; il faut la corriger en ajoutant que le mandat de ce comité n’est pas plus impératif que le mandat des députés. Le mystère dont s’enveloppe, le conseil, la solidarité de ses membres, lui font unie sorte de conscience qui reste libre. La majesté de la couronne est aussi préservée par ces précautions. Il serait impossible à un Anglais de rester longtemps ministre, s’il n’était secret.

Il n’est pas mauvais que la puissance du premier ministre, qui risque de s’exalter par les. triomphes de l’éloquence et les applaudissemens populaires, vienne pour ainsi dire se reposer et se refroidir dans des délibérations sans écho. La force bruyante qui éclate dans les assemblées et qui entraîne les hommes par la parole ne suffit pas aux hommes d’état : ils ont besoin encore d’une force latente, tirée de ce qui représente l’intérêt et la grandeur nationale sous la forme la plus auguste et la plus invariable. Le pouvoir du