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pas directement de l’esprit. La main de l’homme est chaque jour dessaisie d’une partie de sa tâche primitive ; mais ce bienfait général peut se tourner en préjudice pour les particuliers et les classes qui n’ont pas d’autre gagne-pain que leurs bras débiles. Or, pendant que tout se perfectionne, que la production se raffine, se subtilise, se spiritualise même, il est une chose qui est demeurée presque stationnaire : c’est l’instruction des femmes. Tout a grandi, tout s’est élevé, tout s’est amélioré ; seul l’esprit de l’ouvrière est resté grossier, routinier et obscur : aussi la main-d’œuvre des femmes a été dépréciée. Soit qu’elle lutte encore avec le rouet ou avec la quenouille contre le banc à broches, soit qu’avec des aiguilles à tricoter elle fasse concurrence au métier circulaire à douze têtes, soit même qu’elle veuille lutter avec la machine à coudre ou bien avec la machine à faire la dentelle, l’ouvrière est vouée à une tâche ingrate, à moins qu’elle ne consente à s’engager comme surveillante dans cet engrenage de machines qui l’ont dépossédée. Toutefois les cadres agrandis de l’industrie manufacturière, si vastes qu’ils soient devenus, laissent encore en dehors d’eux des masses énormes de femmes et de filles qui ont leur vie et quelquefois celle des leurs à soutenir. En outre, avec leur implacable discipline, les machines ne conviennent pas à toutes les situations et à toutes les époques de la vie des femmes.

Dans l’enquête sur l’enseignement technique, document qui jette un si grand jour sur l’état réel de nos populations ouvrières, le ministre du commerce demandait à Mlle Marchef-Girard, l’habile directrice d’un établissement professionnel pour les jeunes filles, quels étaient les moyens de préparer en France aux ouvrières des occupations plus fructueuses ; cette femme de tête et d’expérience répondit : « C’est de rendre les femmes à la fois plus intelligentes et plus spéciales. » Cette brève réponse est l’expression la plus juste des nécessités industrielles de notre temps. Ce qu’il faut en effet à une production aussi raffinée que la nôtre, ce sont des agens dont l’esprit soit ouvert à tous les progrès par une solide éducation générale, et qui aient en même temps une connaissance approfondie des mille détails d’un métier déterminé. Autrefois les femmes étaient affranchies du souci d’apprendre un état ; sans quitter le foyer paternel, elles recevaient en quelques leçons l’héritage des connaissances pratiques qui étaient nécessaires à leur existence et au bien-être de la famille. Le jeu du rouet, le maniement de la quenouille ou du fuseau, des aiguilles à coudre ou à tricoter, c’était là un enseignement sommaire et complet que la mère transmettait aisément à la fille. De ces instrumens domestiques, la plupart ont perdu leur utilité ; mais l’enseignement dans l’ensemble n’a pas varié. De là cette inaptitude des femmes à rendre des services