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efficaces : tout a changé autour d’elles, elles seules sont restées les mêmes, elles sont comme désorientées au milieu de cette civilisation automatique et de cet outillage si merveilleusement spécialisé.

Cependant, qu’on examine de près notre état social, on sera surpris de la place immense que les femmes y pourraient prendre et de la place infime qu’elles y remplissent. Il est un ordre de fonctions auxquelles leur nature semble les avoir prédestinées. Le commerce a dans notre société une importance aussi grande que l’industrie, il occupe probablement autant de mains et de têtes que l’industrie emploie de bras. N’est-il pas évident que la femme autant et plus que l’homme est apte aux professions commerciales ? Elle a beaucoup de précision dans l’intelligence, du moins pour les choses ordinaires de la vie et pour les idées courantes. Son esprit est vif, son coup d’œil est sûr ; elle calcule avec rapidité ; son attention est vivement attirée et retenue par les menus objets ; l’ordre matériel est une des exigences de son esprit et la condition naturelle de son activité. Elle a plus de droiture que l’homme, plus de dévoûment et plus de soumission. Les femmes peuvent être d’excellens commis, des secrétaires corrects, des caissiers sûrs. Pour tenir des livres, faire des écritures, rédiger des bordereaux, des quittances, distribuer des bulletins, des billets, des prospectus, pour toutes ces occupations faciles, dépourvues d’initiative, les femmes sont les égales des hommes. Ne voit-on pas les femmes des commerçans faire quotidiennement leurs preuves de capacité au comptoir de leurs boutiques, dans les achats et dans les ventes ? Les veuves de grands industriels ne montrent-elles pas de la tête, de l’énergie, de l’entente des affaires ? Comment ne s’est-on pas avisé que ces mêmes qualités qui font des femmes d’excellens auxiliaires ou suppléans de leurs maris peuvent faire d’elles en général des subalternes capables ? A quel chiffre s’élève le nombre des commis et des employés dans la multitude des administrations publiques ou privées de la France ? A plusieurs centaines de mille, et parmi eux il n’y en a peut-être pas le quart dont la tâche ne pût être accomplie avec autant, peut-être même avec plus d’exactitude et plus de soin par des femmes ; mais toutes ces qualités sont latentes, ce sont des germes sans culture.

Dans les professions industrielles même, combien n’y en a-t-il pas qui semblent devoir être le domaine réservé des femmes ? Quelle est dans la production française la part de l’habileté et de la légèreté de la main, de la vivacité et de la facilité de l’esprit, de la finesse et de l’élégance du goût ! Toutes ces qualités restent profondément enfouies sous la couche épaisse d’ignorance et de grossièreté que l’habitude d’une vie rude et inculte accroît sans cesse. On a vu qu’il y a plus de femmes que d’hommes occupées aux