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lieu, si ce n’est sous la condition du libre vote des populations. C’est de cette manière que la Savoie et Nice sont venues, sous le second empire, agrandir le territoire de la France. Cette règle humaine et libérale était enseignée dans une des principales universités de l’Allemagne, à Heidelberg, par un professeur justement renommé, qui du reste est Suisse de naissance, M. Bluntschli ; mais les Allemands, à ce qu’il paraît, n’ont rien retenu des leçons de ce savant maître. L’Alsace et la Lorraine en savent quelque chose. Le sens moral est oblitéré à ce point en Europe que les neutres, spectateurs de la guerre et juges du camp entre la France et la Prusse, n’ont fait entendre aucune réclamation à ce sujet ; même les peuples qui se piquent le plus d’aimer la liberté ont gardé le silence. Ce ne serait pas la preuve des progrès du vrai libéralisme dans les états les plus civilisés.

Le droit maritime est ou a paru être en enfantement d’un grand progrès ; mais l’enfant est lent à venir au monde. Certes nous ne sommes plus au temps où l’Anglais Selden, pour réfuter l’ouvrage de Grotius sur la liberté des mers (mare liberum), publiait aux applaudissemens de ses compatriotes sa Mer fermée (mare clausum), où il revendiquait l’empire des mers pour sa patrie. Le cabinet de Saint-James, qui avait maintenu à peu près constamment sous différentes formes ce programme hautain, qui refusa de s’en désister même en 1815 quand on signa la paix, s’est ravisé depuis. Il y a seize ans, on obtint son adhésion à un régime favorable aux neutres, mais non sans une énergique opposition de la part de quelques-uns de ses personnages les plus considérables. Aussitôt après, la continuation même des négociations ouvertes à ce sujet conduisit à revendiquer des puissances, de l’Angleterre surtout, la reconnaissance du principe d’après lequel la propriété privée, c’est-à-dire la marchandise des belligérans, serait respectée sur mer comme elle l’est le plus souvent sur terre. Les États-Unis prirent l’initiative de cette doctrine dans la réponse qu’ils firent à la proposition d’adhérer au traité de Paris du 30 mars 1856. Richard Cobden s’employa à la faire triompher, et ce n’est pas un de ses moindres titres aux hommages des hommes de bien et des hommes de progrès. Dans ce nouveau système, non-seulement les lettres de marque données à des navires privés armés en course seraient abolies, mais la course serait interdite même aux bâtimens de guerre, et de plus on ne soumettait plus au blocus que les arsenaux. L’abolition de la course par le moyen des lettres de marque a été stipulée dans le traité de Paris, par lequel se lièrent les puissances européennes ; mais ce même traité recommandait aussi l’arbitrage préalable à toute déclaration de guerre, recommandation qui n’a été qu’une lettre morte. D’ailleurs il n’a pas obtenu l’adhésion des