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enfin par la perspective séduisante que leur offrait la chance du succès… Aucun des individus ou des partis qui avaient coopéré à ce projet n’en avait mesuré la profondeur… Dès que l’on se méprenait sur le caractère de l’entreprise, l’assimilait aux guerres d’autrefois, la confiait à des hommes de routine, l’enfermait dans la sphère de quelques combinaisons vulgaires et mesquines, elle n’offrait plus que des dangers sans équivalent et des désastres sans remède. » S’il avait pu voir Paris pendant les jours d’orage pesans et fiévreux qui précédèrent le coup de foudre de Wœrth, Gentz n’aurait eu que quelques traits à changer à ce tableau pour rester dans le vrai. Il y a d’étranges et profondes analogies entre ces deux crises ; elles étonnent au premier aperçu des événemens, elles saisissent quand on les observe de plus près. Le hasard semble s’être fait un jeu de rapprocher jusqu’aux incidens même les plus caractéristiques. On retrouve en 1806 et l’ambassadeur insulté dont l’affront soulève les passions populaires, et l’escarmouche d’avant-postes après laquelle on se replie et dont on prétend jeter le bulletin triomphal aux quatre vents d’Europe. Le seul attrait d’une vaine curiosité ne vaudrait point pourtant que l’on entreprît cette étude ; elle a des titres plus sérieux à notre attention. Dans l’état douloureux et critique où nous sommes réduits, il y a quelque chose de fortifiant pour nous à considérer que les mêmes fautes, les mêmes passions, les mêmes imprévoyances, avaient amené les mêmes désastres chez le peuple qui vient de nous vaincre. Ce peuple s’est relevé ; nous savons par quels moyens. Ce n’est pas la seule leçon qui ressorte de ces événemens. On voit une fois de plus à quels égaremens déplorables se laisse entraîner un peuple ébloui par la victoire. Les systèmes politiques sont à cet égard aussi dangereux que les hommes. Le sophiste qui fanatise les foules n’est pas moins funeste que le césar qui les fascine. Tous les deux poussent aux mêmes abîmes et aveuglent également la conscience des nations. Béranger ne se trompait pas lorsqu’il mêlait dans ses chansons le culte de l’empereur à celui de la révolution. Les théories de Brissot sont la préface du système continental. La France révolutionnaire pensait sincèrement qu’elle assurait son indépendance lorsqu’elle étendait sa domination sur les pays voisins, et s’entourait d’un cercle de républiques vassales. La France impériale n’a pas cessé de désirer la paix, de l’attendre et d’y croire, et comme chaque guerre nouvelle lui paraissait entreprise pour la défense de ses droits, elle s’enivrait sans scrupules des triomphes dont la cause lui semblait légitime. L’Allemagne est victime aujourd’hui des mêmes illusions : elle s’est soulevée, elle a combattu pour une grande idée, l’unité. Elle proteste constamment de son amour pour la paix ; elle