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destiné à former des ingénieurs pour les travaux civils et pour l’industrie ; mais l’école, qui ne recevait d’abord que des élèves externes, ne tarda pas à être détournée de sa destination primitive. Dès 1804, sous l’empire, les élèves furent casernes, soumis au régime militaire et préparés exclusivement pour les services publics.

La période de paix qui suivit la chute de l’empire favorisa la reprise des travaux industriels. Dans cette nouvelle carrière, la Grande-Bretagne prit immédiatement le premier rang. Profitant de sa situation insulaire, elle avait échappé aux bouleversemens qui, durant vingt années, couvrirent de ruines l’Europe continentale ; son industrie et son commerce avaient supporté sans faiblir le poids des énormes dépenses de guerre qui chargent encore, après deux générations, la dette anglaise ; ses ateliers n’avaient point subi de chômage, et elle conservait presque intacts les élémens de sa prospérité manufacturière. Alors que les autres nations de l’Europe venaient de laisser sur les champs de bataille l’élite de leur population, l’Angleterre, plus prodigue de son argent et de son crédit que de ses hommes, avait pu épargner l’outillage intellectuel qui règle le mouvement de l’industrie et garder son personnel d’ingénieurs. Ce personnel était nombreux et considéré. La profession d’ingénieur, dans un pays où l’exploitation des mines, la direction des grandes manufactures et l’introduction récente des machines lui fournissaient d’abondans emplois, était exercée non-seulement par Les contremaîtres intelligens sortis des ateliers, mais encore par les anciens élèves des universités, qui appliquaient avec succès aux procédés et aux manœuvres de l’industrie les principes de la science. Ce fut là, il n’en faut pas douter, l’une des causes de la supériorité qui fut acquise à l’Angleterre dès que la paix de 1815 remit le travail en activité et en honneur. La France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, avaient tout à reconstituer, les ateliers, les marchés et les hommes. Ces pays ne manquaient point d’ingénieurs habiles ni de savans ; mais ils ne possédaient pas, comme l’Angleterre, un corps d’ingénieurs civils assez nombreux ni assez expérimenté pour diriger les opérations si compliquées de l’industrie.

En France, l’École polytechnique aurait pu dans une certaine mesure combler cette lacune. Il aurait fallu la réorganiser d’après les principes qui avaient inspiré la convention en 1794. Le gouvernement de la restauration ne jugea point qu’il fût convenable ni opportun de modifier sur ce point l’institution impériale ; l’état avait besoin d’officiers pour les armes savantes et d’ingénieurs pour le service public. L’École polytechnique ne fournissait chaque année que le contingent nécessaire pour entretenir les cadres, en outre elle était déjà populaire et célèbre ; il eût été imprudent de