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d’opposition. Les gouvernemens sont bien mal inspirés lorsqu’ils transportent dans le domaine intellectuel et scientifique la guerre des opinions, et ils commettent une grave maladresse quand ils laissent à leurs adversaires le patronage d’œuvres utiles. Il n’y eut assurément rien de politique dans la fondation de l’École centrale. Pourtant, par la force des choses et du temps, cette institution eut la bonne fortune de naître sous une étoile libérale, avec le patronage habilement invoqué de noms illustres et, pour ainsi dire, dans le courant d’idées qui entraînait alors tous les esprits éclairés. Elle était utile, elle allait devenir populaire. Recommandable à ce double titre, elle pouvait affronter les difficultés qui s’accumulent au début de toute entreprise, et qui ne lui furent pas épargnées.

Le premier prospectus a été publié en 1829, les cours devant s’ouvrir le 3 novembre de cette même année dans les bâtimens de l’hôtel de Juigné, où l’École centrale a conservé son domicile, agrandi par de nombreuses annexes. Ce document, qu’il est intéressant de relire aujourd’hui, trace dans les termes les plus nets le programme de l’enseignement industriel approprié aux travaux du génie civil, à la direction des manufactures, et même aux spéculations des capitalistes. Laissant à l’École polytechnique l’enseignement supérieur des mathématiques, aux écoles d’arts et métiers l’apprentissage professionnel, le programme de l’École centrale combine un cours d’études qui, en deux années, porte l’instruction des élèves assez haut pour qu’ils puissent appliquer indistinctement les principes aux diverses opérations du travail industriel. Plus tard, la durée des cours fut portée à trois ans ; mais cette modification, conseillée par l’expérience, ne changea point d’une manière sensible le caractère de l’enseignement. Le principe admis dès l’origine et conservé depuis lors, c’est que l’unité de la science domine la variété des applications, et que les ingénieurs, les métallurgistes, les constructeurs de machines, les chefs d’usines, doivent s’instruire aux mêmes sources. Aujourd’hui cette vérité paraît vulgaire ; à l’époque où elle fut pour la première fois exprimée et pratiquée, elle venait à l’encontre de toutes les idées reçues, et il fallait qu’elle tombât de haut pour être acceptée.

Dès la première année, 140 élèves suivirent les cours. Sur ce nombre, 48 avaient plus de vingt et un ans et quelques-uns plus de trente ans. On vit s’asseoir sur les bancs de l’école des élèves plus âgés que leurs maîtres ; c’étaient des manufacturiers qui n’avaient point hésité à quitter l’usine paternelle pour venir demander à un enseignement nouveau les notions générales qui manquaient alors à la plupart de nos industriels. L’étranger fournit également son contingent d’élèves. la publication du programme avait suffi