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gisse de la magistrature, on ne peut y toucher sans savoir d’abord si elle sera républicaine ou monarchique. Qu’il s’agisse du conseil d’état, il faut attendre le régime définitif ; jusque-là, une commission provisoire est assez bonne pour nous. Que les intérêts souffrent, que les affaires soient en suspens, peu importe, pourvu qu’on ne mette pas le pied hors du provisoire. Qu’on se souvienne donc une bonne fois qu’il y a des institutions qui sont en quelque sorte indépendantes du régime politique, qui sont comme les articulations du corps social. Est-ce que sous la république, comme sous la monarchie, la magistrature ne doit pas être organisée de façon à maintenir l’autorité et la garantie d’une intègre et impartiale justice ? Est-ce qu’un conseil d’état n’est pas nécessaire pour élaborer et préparer les lois ? Hélas ! il est peut-être plus nécessaire que jamais, et, si on y réfléchissait bien, on verrait qu’il est même urgent d’avoir un conseil d’état fortement constitué, composé d’hommes éclairés et habiles, car un des symptômes les plus sensibles et les plus tristes depuis assez longtemps, c’est que nos lois portent la marque d’une véritable faiblesse de conception et de rédaction. Où donc est d’ailleurs la nécessité de revenir perpétuellement sur le caractère provisoire du régime actuel, de raviver sans cesse et à tout propos le sentiment de ce qu’il y a de précaire dans des conditions où le pays a trouvé le repos après la tempête ? M. Dufaure l’a dit avec un vigoureux bon sens, on n’arrive ainsi qu’à une sorte de diminution et d’affaiblissement de tout ce qui existe ; on s’étudie à déconsidérer le provisoire sans être pour cela mieux en mesure de fonder le régime définitif qu’on rêve. Étrange manière de soutenir un gouvernement que de lui mettre tous les matins une pincée de cendres sur le front en lui rappelant qu’il est provisoire et mortel ! De quelque nom qu’on le nomme, il est la France après tout, la France sans étiquette d’aucune sorte, si l’on veut, la France, qui apparemment n’est point provisoire quant à elle. Parce que dans un avenir qui n’est point fixé on devra se prononcer sur la forme définitive du gouvernement, ce n’est point une raison pour laisser tout en suspens aujourd’hui, pour refuser au pays un des élémens les plus simples d’une régulière et sérieuse organisation.

Soit, on aura un conseil d’état, puisqu’il le faut absolument ; le rapporteur de la loi, M. Batbie, M. Saint-Marc Girardin, M. le garde des sceaux, l’ont emporté sur ceux qui voulaient s’en tenir à la commission provisoire. C’est un succès de la raison politique ; mais ici a commencé une autre bataille, qui n’a pas été moins singulière, et qui a peut-être même fini par une comédie à laquelle on pourrait donner pour titre chacun hors de sa place ! Le principe de l’existence du conseil d’état est sanctionné : comment se constituera maintenant ce conseil ? qui en nommera les membres ? Au premier abord, à ne considérer que la logique des opinions, les traditions des partis, le résultat est à peu près indiqué d’avance. La majorité, dont la droite est un des principaux batail-