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bataillons, se prononcera naturellement pour la nomination des conseillers d’état par le gouvernement, — la gauche, par habitude, par une vieille superstition, votera pour l’élection par l’assemblée. On voit d’ici la marche des choses. Eh bien ! non, tout est changé cette fois : c’est la droite qui vote pour l’élection des conseillers d’état par l’assemblée, c’est la gauche qui se fait la gardienne jalouse des attributions du pouvoir exécutif. La conversion est complète. Le secret de cette évolution du reste n’est pas bien difficile à deviner. La majorité a craint que le gouvernement fit des choix qui ne lui plairaient pas, la gauche a espéré que le pouvoir exécutif nommerait tout au moins quelques républicains, — et une institution précieuse, utile, qui devrait rester au-dessus des hasards de la politique, s’est trouvée ainsi mise à la loterie des combinaisons de partis. Que ces jeux parlementaires eussent un certain intérêt, un certain côté plaisant autrefois, dans des circonstances plus heureuses ou plus faciles, c’est bien possible ; aujourd’hui les temps sont un peu durs pour qu’on se livre à cette stratégie que le pays ne comprend pas toujours. Il reste à savoir si entre la deuxième lecture et la discussion définitive, qui va prochainement trancher la question, on n’aura pas réfléchi, et si la réflexion n’aura pas conduit à quelque transaction nouvelle.

Entendons-nous bien : nous ne mettons nullement en doute que l’assemblée ne fasse les plus honorables choix, même après avoir exclu les députés de toute candidature au conseil d’état. N’est-il point évident toutefois que la majorité, en votant comme elle l’a fait, s’est mise en contradiction avec ses propres principes, avec toutes ses opinions ? N’est-il point certain que dans des circonstances différentes elle se fût prononcée tout autrement, et que ce qu’elle a voté n’est qu’un expédient à ses propres yeux ? L’assemblée est souveraine, dit-on, elle a des prérogatives exceptionnelles qui n’appartiendraient à aucune autre chambre et qu’elle a le droit d’exercer. Oui, sans doute, l’assemblée est souveraine, mais elle a été jusqu’ici assez prudente, assez sage, pour ne s’en souvenir que lorsqu’il le fallait absolument, pour maintenir dans une situation transitoire, irrégulière, les conditions essentielles d’un ordre régulier. Elle a maintenu l’autorité des lois jusque dans le feu de la guerre civile la plus violente, et elle n’a eu recours à aucune mesure d’exception comme on l’avait fait dans d’autres temps. Investie de la souveraineté la plus complète, elle a laissé au gouvernement créé par elle les principales prérogatives, les attributions naturelles du pouvoir exécutif. Au fond, quel est le membre de la majorité qui ne soit pleinement convaincu que la nomination des membres d’un conseil d’état est une de ces prérogatives ? Personne, même parmi les républicains sensés comme parmi les libéraux conservateurs, ne doute qu’aujourd’hui et pour longtemps peut-être le choix des conseillers d’état ne soit une condition de bon gouvernement sous la république aussi bien que sous la monarchie. On en est persuadé, on ne le cache guère, et s’il en est