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ainsi, pourquoi penser d’une façon et agir en certaines circonstances d’une autre manière ? M. Dufaure est allé droit au fait en demandant si c’était une question de défiance. Non, ce n’est pas précisément une question de défiance ; c’est peut-être de la part de quelques-uns une question de mauvaise humeur, et la mauvaise humeur n’est pas une politique. Le plus puéril et le plus dangereux de tous les systèmes de conduite serait celui qui consisterait à paraître soutenir un gouvernement et à l’embarrasser ou à l’isoler quand on le peut, à se servir contre lui de tout ce qu’on peut rencontrer, même des succès de tribune qui n’avaient nullement le caractère d’une manifestation de parti, à créer un camp de semi-hostilité inquiète, frondeuse et à peu près impuissante.

Peut-on en effet remplacer ce gouvernement ? On n’y a même pas songé sans aucun doute, parce que les services éminens de celui qui le personnifie sont présens à tous les esprits, parce que cette grande expérience n’a point cessé d’être une garantie pour le pays et pour l’assemblée elle-même. Pourquoi dès lors se donner de temps en temps l’apparence d’une hostilité, d’une défiance qu’on ne veut pas et qu’on ne peut pas pousser jusqu’au bout ? Ne voit-on pas qu’on ne réussit qu’à jeter quelques incohérences et quelques anomalies de plus dans une situation qui en contient déjà bien assez ? Il n’y a qu’une manière de traiter avec un gouvernement qu’on a fait en définitive, qui n’a d’autre raison d’être et d’autre force que la confiance publique : c’est d’agir virilement avec lui, de ne pas trop pratiquer les sous-entendus à son égard, afin qu’il ne les pratique pas de son côté, de lui laisser avec ses attributions naturelles sa responsabilité tout entière, pour avoir le droit de lui demander compte de ses actes et de sa politique. Les confusions de prérogatives renouvelées et perpétuées à tout propos ne servent qu’à mettre la faiblesse partout, à créer une sorte d’irresponsabilité universelle qui fausse toutes les situations sans profiter à rien ni à personne.

Que veut-on de M. le président de la république ? Les uns lui demanderaient volontiers d’être un Monk civil, se servant de ce qu’il y a de forces monarchiques dans l’assemblée pour en finir avec ce qui reste de république ; les autres lui demanderaient, s’ils l’osaient, d’aller jusqu’au coup d’état jacobin, de se servir de la république contre l’assemblée, et, au bout du compte, en ayant l’air de provoquer M. Thiers à des rôles qui ne sont ni dans son devoir ni dans son humeur, dont il est le premier à se moquer, on se désarme dans tout ce qu’on aurait quelquefois le droit d’attendre de lui. Ce qu’en a le droit de demander à M. Thiers, en le soutenant dans ses efforts, en le secondant sans arrière-pensée c’est de rester dans le grand courant libéral et conservateur qui l’a porté au pouvoir, de se rendre à la puissance de l’opinion en certaines affaires, — et si attaché qu’il soit à ses idées, M. le président de la répu-