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mêmes. L’Espagne est assurément un de ces exemples toujours instructifs. Depuis trois semaines, une partie du pays est livrée à la guerre civile allumée par le parti carliste. Don Carlos est allé un instant se mettre à la tête de ses bandes, levées en Navarre et dans les provinces basques, et la cérémonie de son entrée dans son royaume n’a pas été, dit-on, sans un certain apparat. Il s’est coiffé du béret blanc traditionnel, il a revêtu l’uniforme avec toutes les décorations qu’il s’est décernées à lui-même, et il a été reçu au son des cloches à son passage de la frontière. Malheureusement pour lui sa royauté n’a pas duré longtemps ; à la première étape, il est allé se faire battre dans un petit village, à Orosquieta, par les troupes du général Moriones, envoyées contre lui. Depuis ce moment, on n’a plus entendu parler du prétendant, et sa défaite a naturellement déconcerté l’insurrection, surtout en Navarre. Beaucoup de soldats de don Carlos se sont débandés ou se sont soumis, sans compter ceux qui ont été faits prisonniers. L’insurrection semble aujourd’hui concentrée dans la Biscaye, qui est sa principale forteresse, et où le général Serrano, qui commande toutes les opérations, cherche à la cerner. Sans être encore absolument vaincue, l’insurrection carliste est donc en déclin. Elle n’aurait eu des chances de prolonger la lutte que si les républicains de leur côté s’étaient soulevés dans les villes. Les républicains sont restés tranquilles, ou ils n’ont paru en fort petit nombre que sur certains points, et l’insurrection carliste laissée à elle-même sera sans doute prochainement comprimée. Réussît-elle à se maintenir encore quelques jours dans les montagnes, elle ne semble plus en état de résister aux forces dirigées contre elle.

L’Espagne échappe à un péril qui a pu être assez sérieux. Malheureusement cela ne change guère la situation politique générale, et c’est à Madrid que s’agiteront maintenant les plus graves questions. Le congrès vient de se constituer, il a nommé pour son président un homme considérable par son passé, comme par son talent, M. Rios Rosas, et au même instant le ministère présidé par M. Sagasta a été sur le point de donner sa démission pour une de ces questions de palais qui faisaient tant de bruit autrefois. C’est le chef de la maison militaire du roi, le général Gandara, qui a été la pomme de discorde. Le roi Amédée a été obligé de céder devant l’insistance de son ministère, et il a livré le général Gandara, qui a donné sa démission. Tout a été apaisé ; mais pour combien de temps ? Il est clair que ce n’est qu’une crise ajournée, dont la chute définitive de l’insurrection carliste hâterait la solution, et alors ce serait sans doute le général Serrano, le pacificateur de la Navarre, qui serait appelé au ministère. Seulement le général Serrano, après avoir eu affaire aux carlistes, aurait probablement affaire aux républicains et aux radicaux, qui ne lui feraient pas une vie facile, et c’est ainsi que l’Espagne tourne dans un cercle d’inépuisables agitations.

CH. DE MAZADE.