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L’EXPOSITION DES ŒUVRES DE M. EDOUARD BERTIN.


La salle de l’École, des Beaux-Arts, où l’on admirait, il y a quelques semaines, les dessins de Félix Duban, s’est rouverte peu après pour une autre exposition posthume. Aux œuvres d’un maître qui avait eu le temps de vieillir dans la gloire et de faire ses preuves jusqu’au bout ont succédé les reliques d’un talent moissonné dans sa fleur, presque au lendemain de son premier épanouissement, et cependant assez éclatant déjà, assez riche au moins en promesses, pour que le nom de Henri Regnault appartienne désormais à l’histoire de notre art national. Certes aucune comparaison n’est possible entre les exemples de goût réfléchi, de science sereine ; légués par le chef de notre école d’architecture contemporaine et l’habileté toute d’instinct, l’impétueuse facilité du jeune peintre de Salomé et de la Sortie du pacha à Tanger ; mais tous deux, docteur dès longtemps en possession de ses degrés ou licencié d’hier, ont été des artistes dans l’acception la plus exacte du mot ; tous deux, malgré la différence des inspirations et l’inégalité des services, ont honoré et honoreront dans l’avenir notre siècle et notre pays. À ces titres, leurs travaux méritaient bien de comparaître dans leur ensemble devant ceux qui les avaient vus d’abord se produire successivement, et de recevoir cette sorte de consécration officielle avant d’être livrés au jugement de la postérité. Aujourd’hui c’est le tour d’un talent très digne aussi d’attention et d’étude. Le même toit sous lequel on avait rassemblé les œuvres de Duban et de Regnault abrite momentanément celles d’un paysagiste éminent, M. Edouard Bertin. Ainsi, pour la troisième fois dans l’espace de deux mois, le public est appelé à mesurer l’étendue des pertes subies, à recueillir des souvenirs inséparables de tant d’autres deuils, et à ne relever les témoignages de l’habileté consommée ou de la verve juvénile que pour constater de ce côté encore ce qui a péri de nos forces vives ou de nos plus légitimes espérances.

D’ailleurs, auprès d’une grande partie de ce public convoqué de nouveau à l’École des Beaux-Arts, l’exposition présente n’a-t-elle pas, plus que les expositions qui l’ont précédée, le caractère d’une révélation ? Lorsqu’on apprit la fin de l’existence de M. Edouard Bertin, mort à Paris le 14 septembre 1871, bien des gens peut-être ne ressentirent cette perte qu’en proportion du vide qu’elle laissait dans le domaine de la politique et des lettres. Chacun savait que, héritier d’un nom qui, pour ainsi dire, l’obligeait, M. Bertin avait succédé comme directeur du Journal des Débats à son père et à son frère, que depuis près de vingt ans il remplissait ses fonctions avec une fermeté de jugement à la hauteur de cette tâche difficile, qu’enfin le poste où il était resté jusqu’au dernier instant avait été pour lui, comme pour ses collaborateurs, un poste