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par les abus mêmes du système contraire et par la méthode conventionnelle en usage depuis le siècle précédent.

L’autre parti à prendre en face des types que fournit la nature inanimée est, sans transformer ceux-ci, d’en sacrifier jusqu’à un certain point les apparences accidentelles, pour mettre d’autant mieux en relief ce qui les caractérise essentiellement et, si l’on peut ainsi parler, pour en démontrer la raison d’être générale. Je sais le danger de ces procédés synthétiques et le risque qu’on court en prétendant dégager l’esprit des choses, d’en réduire l’imitation pittoresque à l’état d’une formule abstraite, d’une sorte d’épure géométrique. Rien de plus facile en pareil cas que de dépasser la limite des révisions ou des retranchemens permis et d’arriver par excès de correction à n’exprimer que le factice, sous prétexte d’idéal à défigurer le vrai. On se rappelle trop bien les fautes de ce genre commises à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci pour qu’il soit nécessaire d’insister ; mais de ce que Valenciennes et les siens se sont mépris sur l’étendue de leur droit et sur la manière de l’exercer, faut-il conclure que ce droit n’existe pas ? Devra-t-on, de peur de nouveaux abus dans l’application, proscrire absolument le principe, n’attribuer à l’art et aux artistes qu’une fonction tout impersonnelle, et confondre d’avance les paysagistes qui tenteraient une interprétation poétique de la réalité avec ceux qui, dans le passé, n’en ont su faire qu’un thème pour leurs dissertations prétentieusement didactiques ? Autant vaudrait condamner la main intelligente d’un peintre de portraits à la niaise véracité d’un appareil photographique, ou bien exiger du sculpteur qu’au lieu de traduire la forme humaine en se souvenant de l’âme qu’elle enveloppe, il se contentât d’en fabriquer tout uniment l’effigie.

Non, dans le domaine du paysage comme ailleurs, comme dans tout ce que l’art met en cause et en œuvre, la réalité ne peut nous intéresser vraiment et nous instruire qu’à la condition d’avoir préalablement ému celui qui a entrepris de la retracer. Il ne suffit pas que l’artiste ait copié son modèle trait pour trait, il faut encore qu’il nous apprenne ce qu’il a senti en face et à propos de ce modèle ; il faut que sa pensée, son goût tout au moins, achève de vivifier cette imitation de la nature, là même où le rôle de l’imagination est en apparence le plus sacrifié à la transcription littérale. Dans ces paysages hollandais par exemple dont nous parlions tout à l’heure, la vraisemblance des objets représentés ne nous séduit et ne réussit à nous persuader que parce qu’elle laisse deviner sous les dehors de l’abnégation les intentions secrètes, l’action particulière de la main qui les a reproduits. À plus forte raison, l’influence exercée par le peintre sera-t-elle prépondérante et décisive, si, au lieu d’un portrait de la réalité rendue jusque dans ses moindres détails, il s’agit pour lui de figurer l’ensemble des harmonies ou des contrastes qui donnent à un site sa majesté propre ou sa grâce, à des effets de jour