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les amis de M. Berlin se trompaient-ils en réclamant pour lui le titre de maître, ou bien ne faisaient-ils que devancer la justice de l’opinion publique ? En un mot, s’agit-il ici de reconnaître les inspirations d’un esprit d’élite ou simplement la patience d’une main laborieuse ? On a sous les yeux les pièces du procès ; à chacun de voir ce qu’elles valent et quel jugement elles autorisent à porter.

Pour nous, ce qui nous paraît ressortir clairement des paysages peints ou dessinés par M. Bertin aux diverses époques de sa vie et sous le ciel de chaque contrée, ce qui donne à ces œuvres non pas uniformes, mais conséquentes au même principe, leur physionomie particulière et leur accent, c’est l’expression de la foi, de la certitude. La manière de M. Bertin est, comme sa pensée, convaincue. Nulle ruse dans la pratique pour déguiser l’audacieuse simplicité des intentions, nul accommodement non plus avec les doctrines moyennes, avec les coutumes éclectiques de notre temps, et nous ajouterons, nulle ostentation d’indépendance dans ces libres procédés, dans ces allures toutes personnelles. De là quelque chose d’imposant au premier aspect, comme ce qui porte en soi le caractère de la sincérité ; de là aussi une séduction d’autant plus sûre qu’elle s’exerce par des moyens moins compliqués et que la méthode adoptée par l’artiste est, malgré sa rigueur, moins pédantesque et moins hautaine. Exempte d’aridité aussi bien que d’emphase, large sans être vide, exacte sans aboutir à l’imitation inerte, cette méthode a je ne sais quelle sérénité dont l’esprit ressent aisément l’influence et qui s’empare tout d’abord du regard. Sans doute le crayon ou le pinceau de M. Bertin ne veut donner et il ne donne en réalité qu’une version abrégée du texte qu’il a choisi, un sommaire en quelque sorte des beautés eu des phénomènes que la nature lui a offerts ; mais le sens de ce texte est si nettement saisi et rendu, il y a dans la traduction de ces beautés une concision si éloquente, que plus d’insistance sur les formes d’expression partielles semblerait ici superflue, et que peut-être, en étant mieux informés des détails, nous courrions le risque de comprendre moins bien la signification de la scène générale, on dirait presque la moralité qui en ressort.

Il y a, on le sait, pour l’art du paysage deux manières de nous émouvoir ou de nous charmer. L’une, se réduisant, quant au moyen, à la transcription littérale du modèle donné, intéresse nos souvenirs familiers par l’image des réalités qui nous entourent, ou quelquefois notre curiosité par la topographie imprévue d’un pays lointain ; l’œuvre de l’artiste dans ce cas n’exprime rien de plus que la ressemblance matérielle et n’éveille en nous qu’un sentiment analogue à celui que nous inspire le récit strictement fidèle d’un fait. C’est là le principe et la fin du paysage tel que l’ont compris et pratiqué les peintres hollandais du XVIIe siècle ; c’est en ce sens aussi que se poursuivent dans l’école française contemporaine les progrès déterminés, il y a près d’un demi-siècle,