Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

véritable, gaspillage des forces par l’emploi d’ouvriers sans activité et sans valeur, gaspillage des provisions qui se perdaient faute d’être consommées à temps. On s’explique fort bien dès lors comment la comptabilité en argent chez les Romains est peu connue, tandis que celle qui concerne l’annone l’est souvent dans les derniers détails ; les textes sont rares sur ces premières opérations fiscales ; ils sont loin de manquer au contraire sur les secondes, de beaucoup les plus nombreuses et les plus perfectionnées.

Peu d’historiens avaient eu jusqu’ici la pensée de se demander si les Romains connaissaient en matière de finances ce principe de la spécialité auquel nous attachons avec raison tant de prix. Il est possible de déterminer assez exactement, à l’aide de ces nouvelles recherches, dans quelle mesure ce principe, regardé comme moderne, a été connu des Romains de l’empire. Ils y ont certainement rendu hommage lorsqu’ils ont interdit aux officiers du fisc de confondre dans leurs écritures les produits des divers exercices, défendu de mêler ce qui appartenait aux largesses sacrées et ce qui revenait à la chose privée, établi une sorte de division entre les recettes et dépenses concernant l’empereur et celles qui regardaient l’état, consacré enfin la même séparation entre celles qui se rapportaient ou à l’état, ou aux provinces, ou aux municipes ; mais nous voyons aussi que ces distinctions établies en principe étaient fort souvent violées ou éludées ; il est même curieux qu’on se soit déjà servi d’un procédé de nous fort connu, et dont ni l’emploi ni l’abus ne demeurèrent étrangers à cette administration trop avancée, le procédé des viremens. Sans doute on aurait répondu aux censeurs importuns qui se seraient permis de faire des observations qu’il fallait pourvoir à tant de besoins déraisonnables ou sensés, illégitimes ou justes, mais tous irrésistibles ! Voyez les villes par exemple. Le budget de Paris nous paraît à bon droit considérable. Croit-on que ce ne fût pas un lourd budget que celui de Rome ou de Constantinople ? On en peut juger en voyant ce qu’étaient dans ces grands centres l’organisation de la police, l’administration des eaux, la poste, l’hygiène, les théâtres, la bienfaisance publique, les frais du culte, les écoles, et nous ne savons combien de services encore que nous trouvons ici énumérés et décrits.

Nul doute que la régularité purement mécanique de ce système administratif et financier, que cette enveloppe en apparence si solide n’aient contribué à cacher tant de causes de dissolution qu’on y voit clairement aujourd’hui, et n’aient fait illusion sur la durée du système lui-même. Les fonctions essentielles paraissaient s’accomplir malgré certains troubles ; l’état trouvait encore de l’obéissance ; les membres se pliaient, après tout, à ce que voulait la tête ; comment donc croire à une mort prochaine ? Et pourtant cette mort se préparait déjà ; le colosse se décomposait. Même sans les coups des barbares qui en précipitèrent la destruction, il portait en lui-même le principe de sa fin inévitable. Il