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premier empire. Telle nation qui a vu d’un œil froid nos défaites, qui compte sur sa position territoriale ou sur la garantie des traités pour la mettre à l’abri de pareils malheurs, est peut-être sans le savoir à la veille de sa ruine. Les traités n’existent plus ; ils ne sont plus qu’une lettre morte depuis qu’on a cessé de les défendre. Malgré le calme apparent dont nous jouissons, les puissances européennes sont comme des vaisseaux qui ont brisé leurs ancres et qui flottent au hasard jusqu’au jour où la prochaine tempête les entre-choquera confusément. Sans parler de celle qui est désormais l’ennemi le plus dangereux de la paix et de l’indépendance européenne, la responsabilité de ce désordre retombe en grande partie sur les nations imprévoyantes qui se sont réjouies du châtiment de la France, et qui aujourd’hui se trouvent châtiées avec elle pour ne l’avoir pas secourue à temps.

De ces nations la plus imprévoyante et la plus sévèrement punie est sans contredit l’Angleterre. Nos désastres, dont le cabinet de Londres s’est fait pour ainsi dire le complice, ont été funestes à la politique anglaise. Beaucoup de gens commencent à croire que l’alliance anglaise est devenue plus gênante qu’utile. Sans vouloir aggraver à plaisir les torts de nos voisins, sans nous dissimuler surtout ni les fautes commises depuis plusieurs années par l’empire, ni la criminelle légèreté avec laquelle son gouvernement a engagé la guerre, sans même nier le juste mécontentement que durent éprouver nos alliés en voyant la France se précipiter sans réflexion dans une telle aventure, nous sommes forcés de l’avouer avec chagrin : la conduite du gouvernement anglais pendant la guerre, pour être moins aventureuse et moins romanesque que celle de l’empire, n’a été au fond ni plus intelligente ni moins coupable.

Nous ne voudrions mettre aucune amertume dans ces reproches ou plutôt dans ces regrets. Le peuple anglais, sans peut-être se défendre toujours de cette espèce de satisfaction maligne qu’on éprouve à la vue des malheurs d’autrui, nous a donné des preuves d’affection ou tout au moins de charité privée qui ne nous permettent pas de lui attribuer des sentimens hostiles. Évidemment le cabinet de Londres a cru obéir à des devoirs supérieurs en nous abandonnant à notre destinée. Toujours est-il que l’Angleterre s’est réjouie de nos premières défaites ; dès ce moment, elle se mettait à la tête de la ligue des neutres, bien moins pour diriger les efforts pacifiques des autres nations que pour les paralyser ou pour les refroidir. Plus tard, quand elle eut besoin de nous pour la soutenir contre les prétentions de la Russie, elle n’a su ni faire oublier ses mauvais procédés, ni réparer ses erreurs. L’histoire diplomatique de cette lamentable époque nous la montre malheureusement, d’un