Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/487

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L'ALLIANCE ANGLAISE
ET
LA LIGUE DES NEUTRES

Il n’y a plus d’Europe. Ce que nous avons connu sous ce nom pendant cinquante ans a cessé d’exister depuis que les victoires et les conquêtes de l’Allemagne ont rompu l’équilibre ébranlé déjà en Italie, en Danemark et en Allemagne même. La tranquillité matérielle est rétablie et se maintiendra longtemps encore, il faut du moins l’espérer ; mais l’ancien système d’alliances sur lequel reposait la paix européenne, le groupement des forces qui donnaient de la stabilité à ce grand ensemble et prêtaient leur garantie au droit international, l’ordre européen en un mot a péri dans la dernière guerre. Il ne renaîtra que le jour où de nouvelles relations se seront formées pour répondre à des intérêts nouveaux. Jusque-là, il pourra y avoir des trêves entre les nations ; mais il n’y aura pas de sécurité pour leur indépendance, ni de garantie sérieuse pour leurs droits les mieux établis.

Il faut s’en souvenir et le rappeler sans relâche aux nations qui essaient de l’oublier : si désormais une guerre éclate, l’Europe est exposée à des secousses formidables et à des bouleversemens inouïs ; Ce ne serait plus une de ces guerres partielles comme nous en avons vu de nos jours, une de ces guerres de police européenne qui s’entouraient pour ainsi dire de formes légales, qui n’altéraient que pour un instant l’équilibre et qui se terminaient par un arbitrage ; — ce serait une de ces grandes convulsions où toutes les ambitions se donnent carrière, où des peuples entiers disparaissent, où des puissances anciennes et respectables peuvent être anéanties par deux ou trois batailles. L’Europe verrait reparaître avec encore plus de brutalité et d’insolence les iniquités et les oppressions du