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s’écriaient que la Prusse livrait la patrie commune aux envahisseurs. On racontait que l’empereur avait dit aux négociateurs autrichiens : « La Prusse est au plus offrant ; je lui donnerai plus que vous, et je la rangerai de mon côté. » Le cabinet de Berlin avait voulu jouer au plus fin, réserver ses chances, attendre la tempête pour prononcer le quos ego, et pêcher en eau trouble les épaves du naufrage. Il se trouvait maintenant entre ses alliés de la veille qui lui rappelaient ses promesses, Napoléon qui exigeait qu’il les démentît, et la nation blessée et mécontente. Ce Hanovre tant convoité depuis trois ans, circonvenu par tant et de si tortueux chemins d’approches, n’était plus qu’un instrument d’humiliation et de ruine. On en était venu à cette crise faute d’avoir su prendre un parti, on ne sut pour en sortir trouver qu’un expédient. On remania le projet de traité : au lieu d’une alliance pure et simple, on inscrivit en marge une alliance conditionnelle, on stipula des casus fœderis, comme on dit là-bas. Ce fut pour Haugwitz l’heure des angoisses patriotiques[1] ; mais il avait été fasciné par Napoléon à Schönbrunn ; il croyait « l’avoir dans ses poches : » il conseilla de refuser la cession des territoires franconiens, et de demander les villes hanséatiques. On espérait ainsi dorer la pilule au peuple prussien et endormir sa passion.

Laforest ratifia sous toutes réserves le traité ainsi amendé ; Haugwitz se rendit à Paris pour le faire accepter de Napoléon. Il était plein de confiance. En arrivant, il dit au ministre prussien, marquis de Lucchesini : « Soyez tranquille, aussitôt que je l’aurai vu, tout s’arrangera ; je sais ce qu’il m’a dit à Vienne. « Il attendit cinq jours sans audience, et se trouva fort désappointé. C’est que le vent avait tourné de nouveau : il soufflait à l’orage du côté de la Prusse. Pitt était mourant ; Fox avait des chances de prendre le portefeuille des affaires étrangères, et la paix devenait possible. Napoléon ordonna à Talleyrand de refuser les ratifications. « Vous comprenez, lui écrivait-il le 4 janvier 1806, que ceci a deux buts : de me laisser maître de faire ma paix avec l’Angleterre, si d’ici à quelques jours les nouvelles que je reçois se confirment, ou de conclure avec la Prusse un traité sur une base plus large. Vous serez sévère et net dans la rédaction. ; mais vous y ajouterez de vive voix toutes les modifications, tous les adoucissemens, toutes les illusions qui feront croire à M. de Haugwitz que c’est une suite de mon caractère, qui est piqué de cette forme, mais que dans le fond on

  1. Il a dit depuis qu’il n’avait signé le 14 décembre que sous le couteau, que de retour, à Berlin il avait supplié le roi de le renvoyer et de le désavouer. Il est sur ce point en contradiction avec Lucchesini et, ce qui est plus grave, avec sa propre conduite.