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est dans les mêmes sentimens pour la Prusse. Mon opinion est que dans les circonstances actuelles, si véritablement M. Fox est à la tête des affaires étrangères, nous ne pouvons céder le Hanovre à la Prusse que par suite d’un grand système tel qu’il puisse nous garantir de la crainte d’une continuation d’hostilités. »

Les nouvelles ne se confirmèrent point. Fox n’était pas ministre, il ne le fut qu’un mois plus tard, le 3 mars, et le dernier souffle de Pitt semblait agiter encore l’Angleterre. Napoléon se retourna vers la Prusse. « Je ne veux pas vous contraindre, dit-il à Haugwitz, je vous offre toujours de remettre les choses sur l’ancien pied, c’est-à-dire de reprendre le Hanovre en vous rendant Anspach, Clèves et Neufchâtel ; mais, si nous traitons, si je vous cède de nouveau le Hanovre, je ne vous le céderai plus aux mêmes conditions, et j’exigerai en outre que vous me promettiez de devenir les fidèles alliés de la France. Si la Prusse est franchement, publiquement avec moi, je n’ai plus de coalition européenne à craindre, et sans coalition européenne je viendrai bien à bout de l’Angleterre ; mais il ne faut pas moins que cette certitude pour vous faire don du Hanovre, et pour avoir la conviction que j’agis sagement en vous le donnant. » Haugwitz, cette fois, fut bien forcé d’ouvrir les yeux. C’était trop tard pour résister, il se résigna. Un traité fut signé le 15 février : la Prusse s’engageait à fermer aux produits anglais l’Elbe et le Weser ; elle garantissait en outre les résultats éventuels de la guerre commencée entre la France et Naples. Ainsi chaque entrevue avec Napoléon entraînait de nouvelles exigences de sa part, de nouvelles concessions plus humiliantes de la part de la Prusse. Lucchesini fut chargé de porter le projet à Berlin. S’il trouvait l’armée réunie, il devait engager le roi à refuser sa ratification. Il trouva l’armée dissoute : il fallut céder ; mais le roi, dit plus tard Haugwitz, « crut dès lors que tout ce qu’il avait gagné, c’était du temps. Je lui expliquai que je n’avais obtenu qu’un dernier et triste répit, que la paix et la convention de Paris ne pouvaient pas tenir six mois, qu’il fallait se préparer à la guerre et saisir la première occasion pour prévenir notre prétendu allié, qui n’avait d’autre projet que celui de nous asservir et de nous détruire. » En revenant a Berlin[1], il trouva le roi mécontent de lui-même et des autres, désirant la paix et se sentant entraîné à la guerre, n’ayant ni le courage de s’y résoudre ni l’habileté nécessaire pour l’éviter. La cour, l’armée, toutes les classes de la société exprimaient tout haut leur indignation. Une

  1. « J’étais également convaincu que, coûte que coûte, la Prusse ferait la guerre et la ferait à bref délai. C’était absolument infaillible… » « Le gouvernement dut enfin reconnaître qu’il se trouvait désormais en présence d’un adversaire décidé à l’amener, au besoin à le traîner sur le terrain du combat. » — Gramont, p. 10 et 221.